201512.23
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Il Tribunale UE dà l’ok al leasing finanziario spagnolo (cause T-515/13 e T-719/13)

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

17 décembre 2015 (*)

« Aides d’État – Construction navale – Dispositions fiscales applicables à certains accords mis en place pour le financement et l’acquisition de navires – Décision déclarant l’aide pour partie incompatible avec le marché intérieur et ordonnant partiellement sa récupération – Recours en annulation – Affectation individuelle – Recevabilité – Avantage – Caractère sélectif – Affectation des échanges entre États membres – Atteinte à la concurrence – Obligation de motivation »

Dans les affaires jointes T‑515/13 et T‑719/13,

Royaume d’Espagne, représenté initialement par Mme N. Díaz Abad, puis par M. M. Sampol Pucurull, abogados del Estado,

partie requérante dans l’affaire T‑515/13,

Lico Leasing, SA, établie à Madrid (Espagne),

Pequeños y Medianos Astilleros Sociedad de Reconversión, SA, établie à Madrid,

représentées par Mes M. Merola et M. A. Sánchez, avocats,

parties requérantes dans l’affaire T‑719/13,

contre

Commission européenne, représentée par M. V. Di Bucci, Mme M. Afonso, M. É. Gippini Fournier et Mme P. Němečková, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2014/200/UE de la Commission, du 17 juillet 2013, concernant l’aide d’État SA.21233 C/11 (ex NN/11, ex CP 137/06) mise à exécution par l’Espagne – Régime fiscal applicable à certains accords de location-financement, également appelé « régime espagnol de leasing fiscal » (JO 2014, L 114, p. 1),

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de M. M. van der Woude (rapporteur), président, Mme I. Wiszniewska-Białecka et M. I. Ulloa Rubio, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite des audiences des 9 et 10 juin 2015,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

I –  Procédure administrative

1        La Commission européenne a reçu, à partir de mai 2006, plusieurs plaintes contre ce qui est appelé le « régime espagnol de leasing fiscal » (ci-après le « RELF »). En particulier, deux fédérations nationales de chantiers navals et un chantier naval individuel ont dénoncé que ce régime permettait aux compagnies maritimes d’acquérir des navires construits par des chantiers navals espagnols en bénéficiant de prix réduits de 20 % à 30 % (ci-après le « rabais »), provoquant la perte de contrats de construction navale pour leurs membres. Le 13 juillet 2010, les associations de construction navale de sept pays européens ont signé une pétition contre le RELF. Une compagnie maritime au moins a soutenu ces plaintes.

2        À la suite de nombreuses demandes d’informations envoyées par la Commission aux autorités espagnoles et de deux réunions entre ces parties, la Commission a ouvert la procédure formelle d’examen au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE par la décision C (2011) 4494 final, du 29 juin 2011 (JO C 276, p. 5, ci-après la « décision d’ouverture »).

II –  Décision attaquée

3        Le 17 juillet 2013, la Commission a adopté la décision 2014/200/UE concernant l’aide d’État SA.21233 C/11 (ex NN/11, ex CP 137/06) mise à exécution par l’Espagne – Régime fiscal applicable à certains accords de location-financement, également appelé « régime espagnol de leasing fiscal » (JO 2014, L 114, p. 1, ci-après la « décision attaquée »). Par cette décision, la Commission a estimé que certaines mesures fiscales composant le RELF « constitu[ai]ent une aide d’État » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, mise illégalement à exécution par le Royaume d’Espagne depuis le 1er janvier 2002 en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE (article 1erde la décision attaquée). Ces mesures ont été considérées comme étant partiellement incompatibles avec le marché intérieur (article 2 de la décision attaquée). La récupération a été ordonnée, sous certaines conditions, uniquement auprès des investisseurs ayant bénéficié des avantages en cause, sans que ceux-ci puissent transférer la charge de la récupération à d’autres personnes (article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée).

A –  Description du RELF

4        Au considérant 8 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que le RELF était utilisé pour des transactions consistant dans la construction de navires par les chantiers navals (vendeurs) et leur acquisition par des compagnies maritimes (acquéreurs), ainsi que dans le financement de ces transactions par le biais d’une structure juridique et financière ad hoc.

5        La Commission a précisé que « [l]e RELF se fond[ait] sur une structure juridique et financière ad hoc montée par une banque et agissant en tant qu’intermédiaire entre la compagnie maritime et le chantier naval […], un réseau complexe de contrats conclus entre les différentes parties à l’opération et l’application de plusieurs mesures fiscales espagnoles » (considérant 9 de la décision attaquée).

6        La Commission a fait également observer que « [l]es acquéreurs [étaient] des compagnies maritimes de pays de toute l’Europe et de pays non européens » et que, « [à] une exception près (un contrat de 6 148 969 [euros]), toutes les transactions [avaient] concerné des chantiers navals espagnols » (considérant 10 de la décision attaquée).

1.     Structure juridique et financière du RELF

7        Il ressort des points 9 et 10 de la décision d’ouverture, auxquels renvoie, en substance, le considérant 14 de la décision attaquée, que le RELF implique, pour chaque commande de construction de navire, plusieurs acteurs, à savoir une compagnie maritime, un chantier naval, une banque, une société de location-vente (leasing), un groupement d’intérêt économique (GIE) constitué par la banque et des investisseurs qui achètent des participations dans ce GIE.

8        La Commission a expliqué, au considérant 12 de la décision attaquée, ce qui suit :

« La structure du RELF est un montage fiscal, généralement mis au point par une banque pour générer des avantages fiscaux en faveur d’investisseurs regroupés au sein d’un GIE fiscalement transparent et pour transférer une partie de ces avantages fiscaux à la compagnie maritime sous la forme d’un rabais sur le prix du navire, les investisseurs du GIE conservant les autres avantages au titre de retour sur investissement. À côté du GIE, d’autres intermédiaires interviennent dans une opération relevant du RELF, notamment une banque et une société de location-vente (voir le graphique ci-dessous). »

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9        Dans le cadre du RELF, les acteurs mentionnés au point 7 ci-dessus signent plusieurs contrats qui seront expliqués ci-après. Les parties intéressées signent aussi un accord-cadre qui détaille l’ensemble de l’organisation et du fonctionnement du RELF [point 9, sous h), de la décision d’ouverture].

a)     Contrat de construction navale initial

10      La compagnie maritime qui souhaite acheter un navire en profitant du rabais se met d’accord avec un chantier naval sur le navire à construire et un prix d’achat qui intègre le rabais (ci-après le « prix net »). Le contrat de construction navale initial prévoit le paiement au chantier naval du prix net par des versements réguliers. Le chantier naval demande à une banque d’organiser la structure et les arrangements du RELF [point 9, sous a), de la décision d’ouverture].

b)     Contrat de construction navale repris (novation)

11      La banque fait intervenir une société de location-vente qui se substitue, par le biais d’un contrat de novation, à la compagnie maritime et conclut avec le chantier naval un nouveau contrat d’achat du navire pour un prix qui n’intègre pas le rabais (ci-après le « prix brut »). Une novation permet de substituer une obligation par une autre ou une partie à un contrat par une autre. Ce nouveau contrat prévoit le paiement au chantier naval d’un versement régulier supplémentaire par rapport aux versements prévus dans le contrat de construction navale initial, qui correspond au rabais (différence entre le prix brut et le prix net) [point 9, sous c), de la décision d’ouverture].

c)     Constitution d’un GIE par la banque et appel à des investisseurs

12      Il ressort du point 9, sous b), de la décision d’ouverture que la banque « crée un [GIE] et vend des actions à des investisseurs », que « [n]ormalement, ces investisseurs sont d’importants contribuables espagnols qui investissent dans le GIE afin d’obtenir une réduction de leur base d’imposition » et que, « [e]n général, ils n’exercent aucune activité maritime ». La Commission précise, au considérant 28 de la décision attaquée, que, « étant donné que leurs membres considèrent que les GIE qui participent à des opérations au titre du RELF constituent un vecteur d’investissement plutôt qu’une structure permettant d’exercer conjointement une activité, la[dite] décision les qualifie d’investisseurs ».

d)     Contrat de location-vente

13      La société de location-vente mentionnée au point 11 ci-dessus loue avec option d’achat le navire au GIE pour trois ou quatre ans sur la base du prix brut. Le GIE s’engage au préalable à exercer l’option d’achat du navire à la fin de ce délai. Le contrat prévoit le versement de loyers très élevés à la société de location-vente, ce qui génère des pertes importantes au niveau des GIE. En revanche, le prix de l’exercice de l’option d’achat est assez réduit [point 9, sous d), de la décision d’ouverture]. En pratique, le GIE loue le navire dans le cadre du contrat de location-vente à partir de la date de début de sa construction (point 10 de la décision d’ouverture).

e)     Contrat d’affrètement coque nue avec option d’achat

14      Il ressort du point 9, sous e), de la décision d’ouverture que le GIE, à son tour, loue le navire « pour un bref délai » à la compagnie maritime dans le cadre d’un contrat d’affrètement coque nue. Un affrètement coque nue constitue un accord pour la location d’un navire qui n’inclut ni l’équipage ni le ravitaillement, l’affréteur en étant responsable. La compagnie maritime s’engage au préalable à acheter le navire au GIE à la fin du délai prévu, sur la base du prix net. Contrairement au contrat de location-vente décrit au point 13 ci-dessus, le prix des loyers prévus dans le cadre du contrat d’affrètement coque nue est réduit. En revanche, le prix pour l’exercice de l’option d’achat est élevé. En pratique, le contrat d’affrètement coque nue est exécuté une fois que la construction du navire a été achevée. La date prévue pour exercer l’option d’achat est fixée à « quelques semaines » après celle de l’achat du navire par le GIE à la société de location-vente, mentionné au point 13 ci-dessus (point 10 de la décision d’ouverture).

15      Il ressort donc de la structure juridique et financière du RELF, telle qu’elle est décrite dans la décision d’ouverture et la décision attaquée, que la banque interpose, dans le cadre de la vente d’un navire par un chantier naval à une compagnie maritime, deux intermédiaires, à savoir une société de location-vente et un GIE. Ce dernier s’engage, dans le cadre d’un contrat de location-vente, à acheter le navire à un prix brut, qui est transféré au chantier naval par la société de location-vente. En revanche, lorsqu’il revend le navire à la compagnie maritime, dans le cadre du contrat d’affrètement coque nue avec option d’achat, il ne perçoit que le prix net, qui prend en compte le rabais consenti au départ à la compagnie maritime.

2.     Structure fiscale du RELF

16      Selon la Commission, « [l]’objectif du RELF […] est, premièrement, de faire bénéficier de certaines mesures fiscales le GIE et les investisseurs qui y participent, lesquels transfèrent ensuite une partie de ces avantages à la compagnie maritime qui achète un navire neuf » (considérant 15 de la décision attaquée).

17      Il ressort des considérants 15 à 20 de la décision attaquée et des points 12 à 19 de la décision d’ouverture, auxquels renvoie, en substance, le considérant 18 de la décision attaquée, que « [l]e GIE recueille les avantages fiscaux en deux temps » (considérant 16 de la décision attaquée).

18      En effet, « [d]ans un premier temps, un amortissement anticipé [mesure 2, examinée au point 25 ci-après] et accéléré [mesure 1, examinée au point 24 ci-après] du navire pris en location-vente est appliqué au titre du régime ‘normal’ de l’impôt sur les sociétés, ce qui se traduit par des pertes importantes pour le GIE [ ; c]onformément au principe de transparence fiscale des GIE [mesure 3, examinée au point 27 ci-après], ces pertes fiscales peuvent être déduites des recettes propres des investisseurs au prorata de leur participation dans le GIE » (considérant 16 de la décision attaquée).

19      La Commission précise, au considérant 17 de la décision attaquée, que, « [d]ans des conditions normales, l’économie fiscale que permet cet amortissement anticipé et accéléré du coût du navire doit être compensée ensuite par l’augmentation des impôts à acquitter, soit lorsque le navire est entièrement amorti et qu’aucun amortissement ne peut plus être déduit, soit lorsque le navire est vendu et que la vente génère une plus-value ». Toutefois, une telle compensation n’a pas lieu dans le cadre du RELF.

20      En effet, « [d]ans un second temps, l’économie fiscale résultant du transfert des pertes initiales aux investisseurs est conservée grâce au fait que le GIE passe sous le régime de la taxation au tonnage [qui permet] l’exonération totale des bénéfices du capital résultant de la vente du navire […] à la compagnie maritime [mesures 4 et 5, examinées aux points 27 à 29 ci-après] ». Cette vente a lieu une fois que le navire a été amorti par le GIE et peu de temps après le transfert vers le régime spécial de la taxation au tonnage (considérant 18 de la décision attaquée).

21      Selon la Commission, « l’effet conjoint des mesures fiscales utilisées dans le RELF permet au GIE et à ses investisseurs d’obtenir un avantage fiscal d’environ 30 % du prix brut initial du navire [ ; c]et avantage fiscal – initialement obtenu par le GIE et ses investisseurs – reste en partie (de l’ordre de 10 % à 15 %) aux mains des investisseurs et la partie restante (85 % à 90 %) est transférée à la compagnie maritime, qui devient finalement propriétaire du navire en bénéficiant d’un rabais de 20 % à 30 % sur le prix brut initial de celui-ci » (considérant 19 de la décision attaquée).

22      Il ressort du considérant 20 de la décision attaquée que « les opérations au titre du RELF combinent plusieurs mesures fiscales distinctes – qui ont, néanmoins, un lien entre elles – en vue de générer un avantage fiscal ». Ces mesures sont prévues dans plusieurs dispositions du Real Decreto Legislativo 4/2004, por el que se aprueba el texto refundido de la Ley del Impuesto sobre Sociedades (décret royal législatif 4/2004, par lequel est approuvé le texte refondu de la loi sur les impôts sur les sociétés), du 5 mars 2004 (BOE n° 61, du 11 mars 2004, p. 10951, ci-après le « TRLIS ») et du Real Decreto 1777/2004, por el que se aprueba el Reglamento del Impuesto sobre Sociedades (décret royal 1777/2004, par lequel est approuvé le règlement de l’impôt sur les sociétés), du 30 juillet 2004 (BOE n° 189, du 6 août 2004, p. 37072, ci-après le « RIS »).

23      Il s’agit des cinq mesures suivantes, décrites aux considérants 21 à 42 de la décision attaquée.

a)     Mesure 1 : amortissement accéléré des actifs achetés à bail (article 115, paragraphe 6, du TRLIS)

24      L’article 115, paragraphe 6, du TRLIS permet d’amortir de façon accélérée un actif acheté à bail, en rendant déductibles les versements effectués en vertu d’un contrat de location-vente relatif à cet actif (considérants 21 à 23 de la décision attaquée).

b)     Mesure 2 : application discrétionnaire de l’amortissement anticipé des actifs achetés à bail (article 48, paragraphe 4, et article 115, paragraphe 11, du TRLIS et article 49 du RIS)

25      Conformément à l’article 115, paragraphe 6, du TRLIS, l’amortissement accéléré de l’actif acheté à bail commence à la date où l’actif est en état de fonctionner, c’est-à-dire pas avant que l’actif acheté à bail ne soit remis au preneur et que celui-ci commence à l’utiliser. Néanmoins, l’article 115, paragraphe 11, du TRLIS prévoit que le ministère de l’économie et des finances peut, sur demande formelle du preneur, fixer une date antérieure pour le début de l’amortissement. L’article 115, paragraphe 11, du TRLIS impose deux conditions générales pour cet amortissement anticipé. Les conditions spécifiques applicables aux GIE figurent à l’article 48, paragraphe 4, du TRLIS. La procédure d’autorisation prévue par l’article 115, paragraphe 11, du TRLIS est détaillée par l’article 49 du RIS (considérants 24 à 26 de la décision attaquée).

c)     Mesure 3 : les GIE

26      La Commission fait observer, au considérant 27 de la décision attaquée, que « [l]es GIE espagnols ont une personnalité juridique distincte de celle de leurs membres » et que « [d]e ce fait, les GIE peuvent introduire une demande d’application de la mesure d’amortissement anticipé et bénéficier en même temps du régime alternatif de la taxation au tonnage prévu par les articles 124 à 128 du TRLIS […], dès lors qu’ils remplissent les conditions d’éligibilité imposées à cet effet par le droit espagnol, même si aucun de leurs membres n’est une compagnie maritime ». La Commission précise, au considérant 28 de la décision attaquée, que « [t]outefois, sur le plan fiscal, les GIE sont transparents en ce qui concerne leurs actionnaires résidant en Espagne et que, « [e]n d’autres termes, sur le plan fiscal, les bénéfices (ou les pertes) enregistrés par les GIE sont directement attribués à leurs membres résidant en Espagne au prorata de leur participation ». La Commission ajoute, au considérant 29 de la décision attaquée, que « [l]a transparence fiscale des GIE permet de répercuter les pertes considérables du groupement dues à un amortissement anticipé et accéléré directement sur les investisseurs, lesquels peuvent compenser ces pertes par leurs bénéfices propres et réduire le montant de l’impôt ».

d)     Mesure 4 : régime de la taxation au tonnage (articles 124 à 128 du TRLIS)

27      La Commission rappelle, aux considérants 30 et 31 de la décision attaquée, que le régime de la taxation au tonnage, prévu aux articles 124 à 128 du TRLIS, a été autorisé en 2002 en tant qu’aide d’État compatible avec le marché intérieur en vertu des orientations communautaires sur les aides au transport maritime du 5 juillet 1997 (JO C 205, p. 5), modifiées le 17 janvier 2004 (JO C 13, p. 3, ci-après les « orientations maritimes ») [décision de la Commission C (2002) 582 final, du 27 février 2002, concernant l’aide d’État N 736/2001 mise à exécution par l’Espagne – Régime pour la taxation des sociétés de transport maritime en fonction du tonnage (JO 2004, C 38, p. 4)].

28      Il ressort des considérants 30, 37 et 38 de la décision attaquée que, sur la base du régime de la taxation au tonnage, les entreprises inscrites dans l’un des registres de compagnies maritimes et qui ont obtenu une autorisation du fisc à cette fin ne sont pas imposées en fonction de leurs gains et de leurs pertes, mais sur la base du tonnage. Cela implique que les revenus provenant de la vente d’un navire préalablement acheté à neuf par une entreprise bénéficiant déjà du régime de la taxation au tonnage ne sont pas imposés. Toutefois, il existe une exception à cette règle. En effet, sur la base d’une procédure spéciale prévue par l’article 125, paragraphe 2, du TRLIS, les plus-values obtenues avec la vente soit d’un navire déjà acquis au moment du passage au régime de la taxation au tonnage, soit d’un navire « usagé » acquis lorsque l’entreprise bénéficie déjà du régime spécial, sont taxées au moment de la vente. Ainsi, « en appliquant normalement le régime espagnol de la taxation au tonnage approuvé par la Commission, les plus-values éventuelles sont imposées en passant sous le régime de la taxation au tonnage et il est supposé que la taxation des plus-values, quoique retardée, a lieu lorsque le navire est vendu ou démoli » (considérant 39 de la décision attaquée).

e)     Mesure 5 : article 50, paragraphe 3, du RIS

29      La Commission fait observer, au considérant 41 de la décision attaquée, que, « par dérogation à la règle établie par l’article 125, paragraphe 2, du TRLIS [voir point 28 ci-dessus], l’article 50, paragraphe 3, du RIS dispose que, lorsque les navires sont achetés par le biais d’une option d’achat dans le cadre d’un contrat de location-vente préalablement approuvé par les autorités fiscales, ils sont considérés comme des navires neufs et non usagés » au sens de l’article 125, paragraphe 2, du TRLIS, sans tenir compte du fait qu’ils ont déjà été amortis. Sur cette base, les éventuelles plus-values dans le cadre de cette vente ne sont pas taxées selon la procédure spéciale prévue par l’article 125, paragraphe 2, du TRLIS.

30      Sur la base des informations dont dispose la Commission, « cette dérogation n’a été appliquée qu’aux contrats de location-vente spécifiques approuvés par les autorités fiscales dans le cadre de demandes d’application de l’amortissement anticipé en vertu de l’article 115, paragraphe 11, du TRLIS [mesure 2, voir point 25 ci-dessus], c’est-à-dire pour des navires […] récemment construits et vendus à bail, achetés par le biais d’opérations relevant du RELF et, à une seule exception près, sortis de chantiers navals espagnols » (considérant 41 de la décision attaquée).

31      Dès lors, selon la Commission, « [d]ans le cas des transactions autorisées au titre du RELF, […] les GIE peuvent […] opter pour le régime de la taxation au tonnage sans être tenus de liquider la dette fiscale implicite découlant de l’amortissement anticipé et accéléré ni au moment du passage au régime de la taxation au tonnage, ni ultérieurement, lors de la vente ou de la démolition du navire » (considérant 40 de la décision attaquée).

32      Il ressort donc de la structure fiscale du RELF, telle qu’elle est décrite aux considérants 15 à 42 de la décision attaquée, que les mesures 1 et 2 permettent d’abord l’amortissement accéléré et anticipé du navire depuis le début de sa construction, de telle sorte que des pertes sont générées au niveau des GIE. En vertu de la transparence fiscale des GIE (mesure 3), ces pertes sont imputées d’un point de vue fiscal aux investisseurs, ce qui leur permet de réduire leurs bases imposables dans le cadre de leurs activités. Les mesures 4 et 5 évitent que les plus-values obtenues dans le cadre de la vente du navire par le GIE à la compagnie maritime soient soumises au paiement de l’impôt, de telle sorte que les investisseurs peuvent conserver le bénéfice des pertes fiscales. Toutefois, comme cela est mentionné au point 15 ci-dessus, cette vente s’effectue sur la base du prix net (qui inclut le rabais accordé à la compagnie maritime), et non du prix brut (transféré au chantier naval).

B –  Évaluation par la Commission

1.     Examen du RELF en tant que régime/examen des différentes mesures

33      La Commission a défini, aux considérants 113 à 122 de la décision attaquée (point 5.2), la portée de son appréciation du RELF.

34      Selon la Commission, « [le] fait que le RELF soit composé de plusieurs mesures qui ne figurent pas toutes dans la législation fiscale espagnole ne suffit pas à empêcher qu[‘elle] le décrive comme un système et le considère comme tel [ ; e]n effet, [… elle] considère que les différentes mesures fiscales utilisées dans les opérations relevant du RELF sont liées entre elles en droit ou en fait » (considérant 116 de la décision attaquée).. Pour ces raisons, « [elle] juge nécessaire de décrire le [RELF] comme un système de mesures fiscales liées entre elles et d’en évaluer les effets dans leur contexte réciproque, compte tenu, notamment, des relations de fait introduites par l’État ou avec l’approbation de ce dernier » (considérant 119 de la décision attaquée).

35      La Commission a précisé que, « [e]n tout état de cause, [elle] ne s’[était] pas fondée exclusivement sur une approche générale » et que, « [à] côté de celle-ci, elle a[vait] également analysé les différentes mesures qui compos[aient] le RELF ». La Commission a estimé que « les deux approches [étaient] complémentaires et [menaient] à des conclusions cohérentes ». Elle a indiqué que « [l]’appréciation individuelle [était] nécessaire notamment pour déterminer quelle partie des avantages économiques tirés du RELF résult[ait] de mesures générales ou de mesures sélectives » et que « [l]’évaluation individuelle [lui] permet[tait] également de déterminer, le cas échéant, quelle partie de l’aide [était] compatible avec le marché intérieur et quelle partie [devait] être récupérée » (considérant 120 de la décision attaquée).

36      La Commission a également fait observer que « [l]es opérateurs économiques [étaient] libres de monter leurs opérations de financement d’actifs à leur gré et d’utiliser pour ce faire les mesures fiscales générales qu’ils juge[aient] les plus adéquates ». Toutefois, selon la Commission, « dans la mesure où ces opérations impliqu[aient] l’application de mesures fiscales sélectives, soumises au contrôle des aides d’État, les entreprises participant à ces opérations [étaient] des bénéficiaires potentiels des aides d’État [ ; d]’une part, le fait que plusieurs secteurs d’activité ou catégories d’entreprises soient identifiés comme des bénéficiaires potentiels ne perme[ttait] pas de considérer que le RELF constitu[ait] une mesure générale [ ; d]’autre part, le fait que le RELF soit utilisé pour financer l’acquisition, l’affrètement coque nue et la revente de navires de mer [pouvait] être considéré comme un indice manifeste que la mesure [était] sélective sur le plan sectoriel » (considérant 122 de la décision attaquée).

2.     Existence d’une aide au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE

a)     Entreprises au sens de l’article 107 du TFUE

37      La Commission a fait observer, au considérant 126 de la décision attaquée, que toutes les parties aux opérations relevant du RELF étaient des entreprises au sens de l’article 107, paragraphe 1, du TFUE, étant donné que leurs activités consistaient à proposer des biens et des services sur un marché. S’agissant, plus particulièrement, des GIE, ils « affr[étaient] et vend[aient] des navires ». S’agissant des investisseurs, « ils offr[aient] des biens et des services sur un large éventail de marchés, hormis lorsqu’ils [étaient] des personnes physiques n’exerçant aucune activité économique, auquel cas ils n[‘étaient] pas repris dans la[dite] décision ».

b)     Existence d’un avantage sélectif

38      La Commission a examiné, aux considérants 127 à 163 de la décision attaquée (point 5.3.2), l’existence ou non d’un avantage sélectif.

39      S’agissant de la mesure 1 (amortissement accéléré), la Commission a estimé qu’elle n’accordait pas en soi « un avantage sélectif aux GIE dans le cadre des opérations relevant du RELF » (considérant 131 de la décision attaquée). En effet, l’avantage que cette mesure confère serait applicable, sans restriction, à tous les biens, y compris ceux construits dans d’autres États membres, et à toutes les entreprises assujetties à l’impôt sur les revenus en Espagne. La Commission a fait observer que rien ne démontrait que les bénéficiaires de la mesure étaient, de fait, concentrés dans certains secteurs ou productions. Enfin, les conditions d’application de la mesure seraient claires, objectives et neutres et leur application par le fisc ne nécessiterait pas une autorisation préalable (considérants 128 à 130 de la décision attaquée).

40      S’agissant de la mesure 2 (application discrétionnaire de l’amortissement anticipé), la Commission a relevé que cette possibilité concédait un avantage économique (considérant 132 de la décision attaquée) et qu’elle constituait une exception à la règle générale sujette à l’autorisation discrétionnaire des autorités espagnoles. En effet, selon la Commission, les critères énoncés à l’article 115, paragraphe 11, du TRLIS sont vagues et requièrent une interprétation de l’administration fiscale. En outre, le Royaume d’Espagne n’aurait pas avancé d’arguments convaincants pour expliquer pourquoi toutes les conditions imposées par l’article 48, paragraphe 4, du TRLIS et par l’article 49 du RIS étaient nécessaires pour éviter des abus. Le Royaume d’Espagne n’aurait pas davantage démontré pourquoi une autorisation préalable était nécessaire (considérant 133 de la décision attaquée). Par ailleurs, aucune preuve n’aurait été produite pour démontrer que les autorisations avaient été accordées dans des circonstances autres que « dans le cas d’acquisitions de navires passés du régime ordinaire de l’impôt sur les sociétés au régime de la taxation au tonnage et du transfert ultérieur de la propriété du navire à la compagnie maritime en exerçant une option dans le cadre d’un affrètement coque nue » (considérant 134 de la décision attaquée). La Commission a fait observer que les demandes présentées pour obtenir le bénéfice de cette mesure décrivaient dans le détail toute l’organisation du RELF et contenaient tous les contrats pertinents (considérant 135 de la décision attaquée). La Commission a aussi estimé que les modalités d’application de la procédure d’autorisation, notamment l’article 49 du RIS, conféraient un pouvoir discrétionnaire important à l’administration fiscale. En particulier, l’administration serait habilitée à demander des renseignements supplémentaires qui peuvent être jugés pertinents aux fins de l’examen (considérant 136 de la décision attaquée). Dans ces conditions, la Commission a conclu que l’application discrétionnaire de l’amortissement anticipé « con[férait] un avantage sélectif aux GIE participant à des opérations au titre du RELF et à leurs investisseurs » (considérant 139 de la décision attaquée).

41      S’agissant de la mesure 3 (GIE), la Commission a considéré que « la transparence fiscale des GIE visée aux articles 48 et 49 du TRLIS perme[ttait] simplement à différents opérateurs de s’unir pour financer un investissement ou mener à bien une activité économique quelconque » et que, « [d]e ce fait, cette mesure ne conf[érait] pas un avantage sélectif aux GIE ou à leurs membres » (considérant 140 de la décision attaquée).

42      S’agissant de la mesure 4 (régime de taxation au tonnage), la Commission a relevé qu’elle permettait « le report de la liquidation des obligations fiscales implicites », ce qui conférait « un avantage économique sélectif supplémentaire aux sociétés qui passaient au régime de la taxation au tonnage par rapport à celles qui continu[aient] de dépendre du régime fiscal général » (considérant 143 de la décision attaquée). Le régime de taxation au tonnage, tel qu’il avait été autorisé par la Commission (voir point 27 ci-dessus), ne couvrait pas le traitement fiscal des revenus issus de l’affrètement coque nue et de la revente de navires, mais uniquement les revenus issus d’activités de transport maritime. L’application du régime de taxation au tonnage aux revenus issus de l’affrètement coque nue constituerait donc une aide nouvelle et non une aide existante qui aurait été approuvée au préalable par la Commission (considérant 144 de la décision attaquée, qui renvoie au point 5.4 de la décision attaquée).

43      S’agissant de la mesure 5 (article 50, paragraphe 3, du RIS), la Commission a fait observer que « [l]’avantage économique qu’autoris[ait] [cette disposition] [était] de nature sélective, puisqu’il n’[était] pas ouvert à tous les actifs [ ; il] n’[était] même pas disponible pour tous les navires soumis au régime de la taxation au tonnage et à l’article 125, paragraphe 2, du TRLIS [ ; e]n fait, cet avantage ne [pouvait] être obtenu que si le navire [était] acheté par le biais d’un contrat de location-vente autorisé au préalable par l’administration fiscale [au titre de l’article 115, paragraphe 11, du TRLIS (mesure 2)] ». Or, « ces autorisations [avaient] été accordées dans le contexte du pouvoir d’appréciation considérable qu’exerçait l’administration fiscale et, de fait, uniquement pour des navires de mer neufs » (considérant 146 de la décision attaquée). Selon la Commission, « cet avantage sélectif supplémentaire – que ce soit par rapport au régime fiscal général, ou même par rapport à l’application ordinaire du régime alternatif de la taxation au tonnage et de l’article 125, paragraphe 2, du TRLIS [qu’elle a] autorisé – ne saurait être justifié par la nature et le régime général du système fiscal espagnol » (considérant 148 de la décision attaquée). La Commission a conclu que la mesure 5 « conf[érait] un avantage sélectif aux entreprises qui ach[étaient] des navires par le biais de contrats de location-vente autorisés au préalable par l’administration fiscale et, notamment, aux GIE ou à leurs investisseurs qui particip[aient] à des opérations relevant du RELF » (considérant 154 de la décision attaquée).

44      S’agissant du RELF dans son ensemble et de l’identification des bénéficiaires, la Commission a d’abord établi, au considérant 155 de la décision attaquée, que « [l]e montant de l’avantage économique résultant du RELF correspond[ait] à l’avantage que le GIE n’aurait pas obtenu de la même opération financière s’il avait uniquement appliqué des mesures générales ». La Commission a précisé que, « [d]ans la pratique, cet avantage correspond[ait] à la somme des avantages obtenus par le GIE en appliquant les mesures sélectives susvisées, à savoir : les intérêts épargnés sur les montants des paiements d’impôts reportés grâce à l’amortissement anticipé (article 115, paragraphe 11, et article 48, paragraphe 4, du TRLIS et article 49 du RIS), le montant des impôts évités ou des intérêts épargnés sur les impôts reportés en vertu du régime de la taxation au tonnage (article 128 du TRLIS), étant donné que le GIE ne pouvait pas bénéficier du régime de la taxation au tonnage, [et] le montant des impôts évités sur la plus-value réalisée au moment de la vente du navire en vertu de l’article 50, paragraphe 3, du RIS ».

45      La Commission a expliqué, au considérant 156 de la décision attaquée, ce qui suit :

« Considérant le RELF dans son ensemble, l’avantage est sélectif parce qu’il est soumis au pouvoir discrétionnaire conféré à l’administration fiscale par la procédure obligatoire d’autorisation et par l’imprécision du libellé des conditions applicables à cet amortissement. Étant donné que d’autres mesures applicables uniquement aux activités de transport maritime éligibles en vertu des orientations maritimes – en particulier l’article 50, paragraphe 3, du TRLIS – dépendent de cette autorisation préalable, l’ensemble du RELF est sélectif. Par conséquent, l’administration fiscale n’autorise que les opérations au titre du RELF destinées à financer des navires de mer (sélectivité sectorielle). Comme le confirment les statistiques fournies par l[e Royaume d’Espagne], l’ensemble des 273 opérations relevant du RELF montées jusqu’en juin 2010 concernent des navires de mer. »

46      La Commission a ajouté, au considérant 157 de la décision attaquée, que, « [à] cet égard, le fait que toutes les compagnies maritimes, y compris celles établies dans d’autres États membres, puissent avoir accès aux opérations de financement au titre du RELF ne s’oppos[ait] pas à la conclusion que ce régime favorise certaines activités, à savoir l’acquisition de navires de mer par l’intermédiaire de contrats de location-vente, en particulier en vue de leur affrètement coque nue et de leur revente ultérieure ».

47      Quand bien même la Commission a constaté que « tous les navires admis dans le RELF, à une exception près, [avaient] été construits dans des chantiers navals espagnols », elle n’a pas considéré qu’un avantage sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE était conféré à ces derniers. À cet égard, la Commission a relevé l’absence « d’élément prouvant le refus des demandes concernant l’acquisition de navires non espagnols » et le fait que « l’administration fiscale espagnole, par une notification contraignante en réponse à une question formulée par un investisseur potentiel, en date du 1er décembre 2008, a expressément confirmé que le RELF s’appliqu[ait] aux navires construits dans d’autres États membres de l’Union européenne » (considérants 159 et 160 de la décision attaquée).

48      La Commission a considéré que « l’avantage profit[ait] au GIE et, par transparence, à ses investisseurs [ ; e]n effet, le GIE [était] la personne morale qui appliqu[ait] toutes les mesures fiscales et, le cas échéant, introdui[sait] les demandes d’autorisation auprès des autorités fiscales [ ; o]r, il n’a[vait] pas été mis en doute que les demandes d’application de l’amortissement anticipé ou de la taxation au tonnage [avaient] été présentées au nom du GIE [ ; s]ur le plan fiscal, le GIE [était] une entité fiscalement transparente et ses revenus imposables ou ses frais déductibles [étaient] automatiquement transférés aux investisseurs » (considérant 161 de la décision attaquée).

49      La Commission a aussi précisé, au considérant 162 de la décision attaquée, que, « [d]ans une opération relevant du RELF, on observ[ait] que, sur le plan économique, une partie substantielle de l’avantage fiscal obtenu par le GIE [était] transférée à la compagnie maritime par le biais d’une ristourne sur le prix ». La Commission a toutefois précisé que « [l]’aspect lié à l’imputabilité de cet avantage à l’État [était…] examiné à la section suivante ».

50      Enfin, la Commission a relevé que, « [s]’il [était] vrai que d’autres participants aux transactions relevant du RELF, comme les chantiers navals, des sociétés de location-vente et d’autres intermédiaires, bénéfici[aient] indirectement de cet avantage, [elle était] d’avis que l’avantage obtenu initialement par le GIE et ses investisseurs n’[était] pas transféré à ceux-ci » (considérant 163 de la décision attaquée).

c)     Transfert de ressources d’État et imputabilité à l’État

51      Selon la Commission, « [d]ans le cadre des opérations au titre du RELF, l’État transfère initialement ses ressources au GIE en finançant les avantages sélectifs [ ; e]nsuite, par le biais de la transparence fiscale, le GIE transfère les ressources de l’État à ses investisseurs » (considérant 166 de la décision attaquée).

52      S’agissant de l’imputabilité, la Commission a conclu que les avantages sélectifs étaient « clairement imputables à l’État espagnol dans la mesure où ils profit[aient] aux GIE et à leurs investisseurs ». Cependant, « tel n’[était] pas le cas des avantages que tir[aient] les compagnies maritimes et, a fortiori, des avantages indirects dont bénéfici[aient] les chantiers navals et les intermédiaires ». En effet, « les règles en vigueur n’obligeaient pas les GIE à transférer une partie de l’avantage fiscal aux compagnies maritimes et encore moins aux chantiers navals ou aux intermédiaires » (considérants 169 et 170 de la décision attaquée).

d)     Distorsion de la concurrence et affectation des échanges

53      Selon la Commission, « cet avantage menace de fausser la concurrence et d’affecter le commerce entre les États membres [ ; l]orsqu’une aide accordée par un État membre renforce la position d’une entreprise par rapport à d’autres entreprises concurrentes dans les échanges au sein de l’Union européenne, ces derni[ers] doivent être considéré[s] comme affecté[s] par l’aide [ ; i]l suffit que le bénéficiaire de l’aide soit en concurrence avec d’autres entreprises sur des marchés ouverts à la concurrence et aux échanges entre les États membres » (considérant 171 de la décision attaquée).

54      La Commission a fait observer, au considérant 172 de la décision attaquée, ce qui suit : « En l’espèce, les investisseurs, c’est-à-dire les membres des GIE, opèrent dans tous les secteurs de l’économie, notamment dans des secteurs ouverts au commerce intra-UE. En outre, par le biais des opérations bénéficiant du RELF, ils opèrent au travers du GIE sur les marchés de l’affrètement coque nue et de l’achat et de la vente de navires de mer, qui sont ouverts au commerce intra-UE. Les avantages qui découlent du RELF renforcent leur position sur leurs marchés respectifs, ce qui fausse ou menace de fausser la concurrence. » La Commission a conclu, au considérant 173 de la décision attaquée, que « l’avantage économique dont jouiss[aient] les GIE et leurs investisseurs qui bénéfici[aient] des mesures en cause [pouvait] affecter le commerce entre les États membres et fausser la concurrence sur le marché intérieur ».

3.     Compatibilité avec le marché intérieur

55      La Commission a considéré, aux considérants 194 à 199 de la décision attaquée, que ni sa décision sur le régime de taxation au tonnage (voir point 27 ci-dessus), ni les orientations maritimes ne s’appliquaient aux activités des GIE, qui étaient des « intermédiaires financiers » (considérant 197 de la décision attaquée).

56      Toutefois, la Commission a relevé que « les GIE participant à des opérations au titre du RELF et leurs investisseurs [faisaient] office d’intermédiaires qui répercut[aient] vers d’autres bénéficiaires (les compagnies maritimes) un avantage poursuivant un objectif d’intérêt commun » (considérant 200 de la décision attaquée) et que, dès lors, « l’aide conservée par le GIE ou ses investisseurs devrait être considérée comme compatible dans la même proportion » (considérant 201 de la décision attaquée).

57      La Commission a rappelé que « les compagnies maritimes ne bénéfici[aient] pas d’une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, du TFUE ». Toutefois, elle a précisé que, « aux fins de déterminer le montant de l’aide compatible au niveau des GIE – en tant qu’intermédiaires qui répercutent sur les compagnies maritimes un avantage poursuivant un objectif d’intérêt commun – [elle] estim[ait] que les orientations maritimes [devaient] s’appliquer, mutatis mutandis, à l’avantage répercuté par le GIE sur la compagnie maritime afin de déterminer : 1) le montant de l’aide reçue initialement par le GIE et transférée à la compagnie maritime qui aurait été compatible si le montant transféré avait constitué une aide d’État en faveur de la compagnie maritime ; 2) la proportion de cet avantage compatible dans l’avantage total transféré à la compagnie maritime ; et 3) le montant de l’aide qui [devait] être considéré comme compatible au titre de rémunération de l’intervention des GIE » (considérant 203 de la décision attaquée).

4.     Récupération

a)     Principes généraux du droit de l’Union européenne

58      La Commission a examiné, aux considérants 211 à 276 de la décision attaquée et conformément à l’article 14 du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO L 83, p. 1), si la récupération des aides allait à l’encontre d’un principe général du droit de l’Union. À cet égard, la Commission a estimé que, si les principes d’égalité de traitement et de protection de la confiance légitime ne s’opposaient pas à une récupération de l’aide (considérants 213 à 245 de la décision attaquée), le respect du principe de sécurité juridique exigeait d’exclure « la récupération de l’aide résultant des opérations au titre du RELF pour lesquelles l’aide a[vait] été accordée entre la date d’entrée en vigueur du RELF en 2002 et le 30 avril 2007 », date de publication au Journal officiel de l’Union européenne de sa décision 2007/256/CE, du 20 décembre 2006, concernant le régime d’aide mis à exécution par la France au titre de l’article 39 CA du code général des impôts – Aide d’État C 46/04 (ex NN 65/04) (JO 2007, L 112, p. 41) (considérants 246 à 262 de la décision attaquée).

b)     Détermination des montants à récupérer

59      La Commission a exposé, aux considérants 263 à 269 de la décision attaquée, une méthode pour la détermination des montants d’aide incompatible à récupérer, fondée sur quatre étapes, à savoir, premièrement, le calcul de l’avantage fiscal total généré par l’opération, deuxièmement, le calcul de l’avantage fiscal généré par les mesures fiscales générales (mesures 1 et 3) appliquées à l’opération (qu’il convient de déduire), troisièmement, le calcul de l’avantage fiscal équivalent à l’aide d’État et, quatrièmement, le calcul du montant de l’aide compatible, suivant les principes posés aux considérants 202 à 210 de la décision attaquée.

c)     Clauses contractuelles

60      Enfin, la Commission a constaté, aux considérants 270 à 276 de la décision attaquée, l’existence de certaines clauses dans des contrats conclus entre les investisseurs, les compagnies maritimes et les chantiers navals, en vertu desquelles les chantiers navals seraient dans l’obligation d’indemniser les autres parties si elles ne pouvaient pas obtenir les avantages fiscaux prévus. À cet égard, la Commission a rappelé que le principal objectif visé par le remboursement d’une aide d’État était d’éliminer la distorsion de concurrence causée par l’avantage concurrentiel procuré par l’aide illégale et, ainsi, de rétablir la situation antérieure au versement de l’aide. Au considérant 273 de la décision attaquée, la Commission a précisé que, « [p]our atteindre ce résultat, il conv[enait] qu[‘elle] soit habilitée à ordonner la récupération auprès des bénéficiaires réels de l’aide, de sorte que cette récupération puisse remplir la fonction de rétablir la situation concurrentielle sur le(s) marché(s) où la distorsion s’est produite ». Or, la Commission a souligné que cet objectif risquerait d’être compromis si les bénéficiaires réels de l’aide pouvaient altérer l’incidence des décisions de récupération par le biais de clauses contractuelles. Il s’ensuit, selon la Commission, que « les clauses contractuelles qui protègent les bénéficiaires des aides contre la récupération d’une aide illégale et incompatible, par le biais du transfert à d’autres personnes des risques juridiques et économiques de la récupération, sont contraires à l’essence même du système de contrôle des aides d’État instauré par le traité » et que, « [p]ar conséquent, les acteurs du secteur privé ne sauraient énoncer d’exceptions à ces règles par le biais de clauses contractuelles » (considérant 275 de la décision attaquée).

C –  Dispositif de la décision attaquée

61      Le dispositif de la décision attaquée est libellé comme suit :

« Article premier

Les mesures résultant de l’article 115, paragraphe 11, du TRLIS (amortissement anticipé d’actifs achetés à bail), de l’application du régime de la taxation au tonnage à des entreprises, navires ou activités non éligibles, et de l’article 50, paragraphe 3, du RIS constituent une aide d’État aux GIE et à leurs investisseurs, mise illégalement à exécution par l[e Royaume d’Espagne] depuis le 1er janvier 2002 en violation de l’article 108, paragraphe 3, [TFUE].

Article 2

Les mesures d’aide d’État visées à l’article 1er sont incompatibles avec le marché intérieur, hormis dans la mesure où l’aide correspond à une rémunération conforme au marché pour l’intervention d’investisseurs financiers et qu’elle est transférée à des entreprises de transport maritime pouvant bénéficier des dispositions des orientations maritimes, conformément aux conditions établies par celles-ci.

Article 3

L[e Royaume d’Espagne] met un terme au régime d’aide visé à l’article 1er dans la mesure où il est incompatible avec le marché intérieur.

Article 4

1. L[e Royaume d’Espagne] doit récupérer l’aide incompatible accordée au titre du régime visé à l’article 1er auprès des investisseurs des GIE qui en ont bénéficié, sans que ces bénéficiaires puissent transférer la charge de la récupération à d’autres personnes. Néanmoins, il ne sera pas procédé à la récupération de l’aide octroyée dans le cadre d’opérations de financement pour lesquelles les autorités nationales compétentes se sont engagées à concéder le bénéfice des mesures par un acte juridiquement contraignant adopté avant le 30 avril 2007.

[…]

Article 5

1. La récupération de l’aide octroyée dans le cadre du régime visé à l’article 1er est immédiate et effective.

2. L[e Royaume d’Espagne] veille à ce que la présente décision soit mise en œuvre dans un délai de quatre mois suivant la date de sa notification.

Article 6

1. Dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, l[e Royaume d’Espagne] communique les informations suivantes :

[…]

2. L[e Royaume d’Espagne] tient la Commission informée de l’avancement des mesures nationales adoptées afin de mettre en œuvre la présente décision jusqu’à la récupération de l’aide octroyée en vertu du régime visé à l’article 1er.

[…] »

 Procédure et conclusions des parties

62      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 septembre 2013, le Royaume d’Espagne a introduit un recours, enregistré sous la référence T‑515/13.

63      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 décembre 2013, Lico Leasing, SA (ci-après « Lico ») et Pequeños y Medianos Astilleros Sociedad de Reconversión, SA (ci-après « PYMAR ») ont introduit un recours, enregistré sous la référence T‑719/13.

64      Par ailleurs, d’autres recours ont également été formés par d’autres parties requérantes contre la décision attaquée.

65      Le 26 mai 2014, le Tribunal a interrogé le Royaume d’Espagne et la Commission sur la question de savoir s’il était opportun de suspendre la procédure dans l’affaire T‑515/13, en application de l’article 77, sous d), du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991, jusqu’à la fin de la phase écrite de la procédure dans les autres affaires introduites devant le Tribunal contre la décision attaquée, mentionnées aux points 63 et 64 ci-dessus. Dans ses observations, le Royaume d’Espagne s’est opposé à une telle suspension. La Commission n’a pas soulevé d’objections.

66      Par ordonnance du 17 juillet 2014, le Tribunal (septième chambre) a rejeté une demande d’intervention présentée par le Comité des associations d’armateurs des Communautés européennes dans le cadre de l’affaire T‑719/13 au soutien des conclusions de la Commission.

67      Le 17 février 2015, dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure dans l’affaire T‑719/13, le Tribunal a posé une question à Lico et à PYMAR et leur a demandé la production de certains documents. Lico et PYMAR ont répondu à la question et déposé les documents demandés dans le délai imparti.

68      Le 26 février 2015, sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (septième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure dans l’affaire T‑515/13.

69      Le 3 mars 2015, dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure dans l’affaire T‑515/13, le Tribunal a posé deux questions aux parties pour réponse orale lors de l’audience.

70      Le 23 avril 2015, sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (septième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure dans l’affaire T‑719/13.

71      Le 28 avril 2015, dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure dans les affaires T‑515/13 et T‑719/13, le Tribunal a posé une question écrite aux parties, relative aux conséquences qu’il convient de tirer dans ces affaires des arrêts du 7 novembre 2014, Autogrill España/Commission (T‑219/10, Rec, EU:T:2014:939) et Banco Santander et Santusa/Commission (T‑399/11, Rec, EU:T:2014:938), en particulier concernant l’analyse de la sélectivité établie dans la décision attaquée. Les parties dans les deux affaires ont répondu à la question dans les délais prescrits.

72      Les parties dans les affaires T‑515/13 et T‑719/13 ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors des audiences qui ont eu lieu, respectivement, le 9 et le 10 juin 2015.

73      Lors des audiences dans les affaires T‑515/13 et T‑719/13, les parties ont été invitées par le Tribunal à se prononcer sur une éventuelle suspension des affaires, en application de l’article 77, sous d), du règlement de procédure du 2 mai 1991, dans l’attente du prononcé de la décision de la Cour mettant fin au litige dans l’affaire C‑20/15 P, Commission/Autogrill España, et dans l’affaire C‑21/05 P, Commission/Banco Santander et Santusa. Même si les parties ne se sont pas opposées à une telle suspension, elles ont observé qu’elle n’était pas opportune et que le Tribunal pouvait se prononcer dans le cadre des présentes affaires sur la base de la jurisprudence existante, sans attendre la décision de la Cour.

74      Par ordonnances du 6 octobre 2015, le Tribunal (septième chambre) a rouvert la phase orale de la procédure dans les affaires T‑515/13 et T‑719/13 afin de demander aux parties leurs observations sur une éventuelle jonction des deux affaires aux fins de l’arrêt mettant fin à l’instance. Les parties ont déposé leurs observations dans le délai imparti.

75      Par ordonnance adoptée aujourd’hui, le président de la septième chambre du Tribunal a joint les affaires T‑515/13 et T‑719/13 aux fins de l’arrêt mettant fin à l’instance, en application de l’article 68 du règlement de procédure du Tribunal.

76      Dans l’affaire T‑515/13, le Royaume d’Espagne conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

77      Dans l’affaire T‑515/13, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le Royaume d’Espagne aux dépens.

78      Dans l’affaire T‑719/13, Lico et PYMAR concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer la nullité de la décision attaquée au motif que le RELF a été erronément qualifié de système d’aides d’État qui profite aux GIE et à leurs investisseurs, et en raison de l’existence de vices de motivation ;

–        à titre subsidiaire, constater la nullité de l’injonction de récupération des aides accordées en vertu du RELF, parce qu’elle est contraire aux principes généraux de l’ordre juridique de l’Union ;

–        à titre subsidiaire, constater la nullité de l’injonction de récupération en ce qui concerne le calcul du montant de l’aide incompatible à récupérer, dans la mesure où elle empêche le Royaume d’Espagne de déterminer la formule de calcul de ce montant conformément aux principes généraux applicables à la récupération des aides d’État ;

–        condamner la Commission aux dépens.

79      Dans l’affaire T‑719/13, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner Lico et PYMAR aux dépens.

 En droit

I –  Sur la recevabilité du recours dans l’affaire T‑719/13

80      Il ressort de la requête dans l’affaire T‑719/13 que Lico est un établissement financier qui a investi dans un certain nombre de GIE qui ont participé au RELF. Elle fait valoir qu’elle introduit son recours en sa qualité de bénéficiaire effectif d’aides devant faire l’objet d’une récupération sur la base de la décision attaquée. PYMAR, quant à elle, est une société qui coopère avec les petits et moyens chantiers navals afin de leur permettre de réaliser de manière adéquate leurs objectifs industriels. Pour justifier sa qualité pour agir devant le Tribunal, elle fait observer que, en raison de la décision attaquée, les investisseurs refusent de continuer à investir dans le secteur de la construction navale. Par ailleurs, malgré l’invalidité des clauses qui imposaient aux chantiers navals d’indemniser les investisseurs en cas de récupération des avantages fiscaux en cause (voir point 60 ci-dessus), ces derniers tenteraient de s’en prévaloir dans le cadre de procédures judicaires au niveau national. Enfin, tant Lico que PYMAR auraient participé à la procédure formelle d’examen ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée, ce qui démontrerait également leur qualité pour agir.

81      Sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité, la Commission a exprimé des réserves quant à la qualité pour agir tant de Lico que de PYMAR.

82      S’agissant de Lico, la preuve de son affectation individuelle n’aurait pas été apportée. En effet, selon la Commission, les pièces versées ne permettaient pas de déterminer avec certitude si cette entité avait reçu une aide d’État devant faire l’objet d’une récupération au titre du RELF. En particulier, Lico n’aurait pas produit les autorisations administratives nécessaires à l’application de l’amortissement anticipé, alors qu’il s’agit de « l’acte de concession du premier avantage fiscal », dont la date est pertinente pour déterminer si l’aide doit être récupérée ou si elle est couverte par la période pour laquelle la Commission n’a pas ordonné la récupération dans le respect du principe de sécurité juridique. Lors de l’audience, la Commission a ajouté que Lico aurait dû, par ailleurs, apporter la preuve qu’elle avait effectivement réalisé des bénéfices devant faire l’objet d’une imposition pendant les exercices fiscaux en cause. Autrement, les avantages fiscaux découlant du RELF (pertes pouvant réduire le montant de la base imposable de Lico dans le cadre de ses activités) n’auraient rien apporté. La Commission a, cependant, précisé, lors de l’audience, qu’elle n’exigeait pas que Lico apporte une copie des ordres de recouvrement, la procédure de récupération engagée par les autorités espagnoles n’étant pas encore achevée à cette date.

83      S’agissant de PYMAR, la Commission fait observer qu’elle n’a pas bénéficié du RELF et que la perte supposée de débouchés ne saurait être considérée comme découlant directement de la décision attaquée. Par ailleurs, PYMAR n’aurait pas d’intérêt à agir à l’encontre de la décision attaquée, dans la mesure où elle lui est favorable.

84      Le Tribunal estime opportun d’examiner d’abord la recevabilité du recours en ce qui concerne Lico.

85      Aux termes de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, « [t]oute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution ».

86      En l’espèce, la décision attaquée a pour unique destinataire le Royaume d’Espagne. Ainsi, conformément à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, Lico n’aura qualité pour agir devant le Tribunal que si la décision attaquée la concerne directement et individuellement, cette décision comportant des mesures d’exécution à son égard au sens de cette disposition (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2013, Telefónica/Commission, C‑274/12 P, Rec, EU:C:2013:852, points 35 et 36).

87      Conformément à une jurisprudence établie, les bénéficiaires effectifs d’aides individuelles octroyées au titre d’un régime d’aides dont la Commission a ordonné la récupération sont, de ce fait, individuellement concernés au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (voir arrêt du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, Rec, EU:C:2011:368, point 53 et jurisprudence citée).

88      En l’espèce, l’affectation individuelle de Lico par la décision attaquée a été suffisamment démontrée par les éléments apportés devant le Tribunal. Il s’agit des copies des notifications du fisc annonçant l’engagement d’une enquête visant à déterminer « le montant des aides à récupérer en application de la décision [attaquée] » et, comme cela est exigé par la Commission dans le mémoire en défense, des copies des autorisations accordant le bénéfice de l’amortissement anticipé aux GIE dans lesquels Lico avait acheté des participations. La Commission ne conteste pas que, en vertu du principe de transparence fiscale, ce sont les membres de ces GIE – et, partant, Lico – qui ont bénéficié de l’avantage économique autorisé par le fisc. Il y a lieu de constater que toutes ces autorisations ont été accordées après le 30 avril 2007, date à partir de laquelle une récupération est ordonnée dans la décision attaquée, conformément à l’article 4, paragraphe 1, de ladite décision. Ces éléments démontrent donc que Lico est un bénéficiaire effectif d’aides individuelles octroyées au titre du RELF dont la Commission a ordonné la récupération. Il n’est ainsi pas nécessaire pour Lico d’apporter, en outre, la preuve qu’elle avait effectivement réalisé des bénéfices devant faire l’objet d’une imposition pendant les exercices fiscaux en cause. En effet, comme la Commission l’a reconnu dans ses écrits, l’autorisation de l’amortissement anticipé constitue « l’acte de concession du premier avantage fiscal ».

89      S’agissant de l’affectation directe de Lico, dans la mesure où l’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée oblige le Royaume d’Espagne à prendre les mesures nécessaires pour récupérer l’aide incompatible, dont a bénéficié Lico, cette dernière doit être considérée comme étant directement concernée par la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2009, Associazione italiana del risparmio gestito et Fineco Asset Management/Commission, T‑445/05, Rec, EU:T:2009:50, point 52 et jurisprudence citée).

90      L’affectation directe et individuelle de Lico par la décision attaquée ayant été établie et son intérêt à agir à l’encontre de cette décision ne faisant pas de doute, le recours dans l’affaire T‑719/13 doit être déclaré recevable, sans qu’il y ait lieu de déterminer si PYMAR remplit également les conditions de recevabilité imposées par l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (voir arrêts du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission, C‑313/90, Rec, EU:C:1993:111, points 30 et 31, et du 26 octobre 1999, Burrill et Noriega Guerra/Commission, T‑51/98, RecFP, EU:T:1999:271, points 19 à 21 et jurisprudence citée).

II –  Sur le fond

A –  Sur la portée du premier chef de conclusions de Lico et de PYMAR dans l’affaire T‑719/13

91      Il y a lieu d’observer que, par leur premier chef de conclusions, soutenu par leur premier moyen, Lico et PYMAR demandent au Tribunal de « déclarer la nullité de la décision attaquée au motif que le RELF a été erronément qualifié de système d’aides d’État qui profite aux GIE et à leurs investisseurs, et en raison de l’existence de vices de motivation ».

92      Or, il y a lieu d’observer que l’article 1er de la décision attaquée, qui a trait à la qualification d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ne fait pas référence au RELF en tant que tel, ni ne le qualifie de « système d’aides d’État ». En effet, cet article est rédigé dans les termes suivants : « Les mesures résultant de l’article 115, paragraphe 11, du TRLIS (amortissement anticipé d’actifs achetés à bail), de l’application du régime de la taxation au tonnage à des entreprises, navires ou activités non éligibles, et de l’article 50, paragraphe 3, du RIS constituent une aide d’État aux GIE et à leurs investisseurs, mise illégalement à exécution par l[e Royaume d’Espagne] depuis le 1er janvier 2002 en violation de l’article 108, paragraphe 3, [TFUE]. » L’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée, qui prévoit l’injonction de récupération, se réfère à « l’aide incompatible accordée au titre du régime visé à l’article 1er ».

93      Lors de l’audience, Lico et PYMAR ont précisé que, par leur premier chef de conclusions, elles demandaient l’annulation de l’article 1er dans son entièreté et que les trois mesures citées dans cette disposition avaient été mentionnées dans la requête. Pour sa part, la Commission a fait valoir lors de l’audience que le premier moyen de la requête ne faisait pas référence à ces trois mesures.

94      À cet égard, il convient de rappeler que le dispositif d’un acte est indissociable de sa motivation et doit être interprété, si besoin est, en tenant compte des motifs qui ont conduit à son adoption (arrêts du 15 mai 1997, TWD/Commission, C‑355/95 P, Rec, EU:C:1997:241, point 21, et du 29 avril 2004, Italie/Commission, C‑298/00 P, Rec, EU:C:2004:240, point 97).

95      En l’espèce, comme cela est rappelé aux points 33 à 35 ci-dessus, la Commission a jugé nécessaire de décrire le RELF, aux considérants 116 à 122 de la décision attaquée, comme un « système » de mesures fiscales liées entre elles et d’en évaluer les effets dans leur contexte réciproque, compte tenu, notamment, des relations de fait introduites par l’État ou avec l’approbation de ce dernier. Toutefois, la Commission ne s’est pas fondée exclusivement sur une approche générale. Elle a également analysé de manière individuelle les cinq mesures qui composent le RELF, afin de « déterminer notamment quelle partie des avantages économiques tirés du RELF résulte de mesures générales ou de mesures sélectives » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Selon la Commission, « les deux approches sont complémentaires et mènent à des conclusions cohérentes » (considérant 120 de la décision attaquée).

96      À la suite de son examen individuel des mesures qui composent le RELF, la Commission a conclu, au considérant 155 de la décision attaquée, que « [l]e montant de l’avantage économique résultant du RELF dans son ensemble » correspondait en « pratique » à « la somme des avantages obtenus par le GIE en appliquant les [trois] mesures sélectives susvisées », à savoir l’amortissement anticipé (mesure 2) et l’application aux activités d’affrètement coque nue des GIE du régime de taxation au tonnage (mesure 4), tel que précisé par l’article 50, paragraphe 3, du RIS (mesure 5).

97      Il s’ensuit que la Commission a conclu, en substance, que le RELF était un « système » composé de cinq mesures fiscales, dont trois remplissaient les conditions de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Cette présentation a également été faite par Lico et PYMAR dans leur requête, lorsqu’elles ont rappelé le libellé de la décision attaquée.

98      Ainsi, lorsque Lico et PYMAR demandent au Tribunal, dans leur premier chef de conclusions soutenu par leur premier moyen, d’annuler la décision attaquée « au motif que le RELF a été erronément qualifié de système d’aides d’État », elles se réfèrent nécessairement aussi aux composantes de ce dernier, mentionnées à l’article 1er de la décision attaquée.

B –  Sur les moyens avancés dans les affaires T‑515/13 et T‑719/13

99      À l’appui de son recours dans l’affaire T‑515/13, le Royaume d’Espagne invoque, en substance, quatre moyens.

100    Le premier moyen est tiré de la violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

101    Les deuxième, troisième et quatrième moyens sont soulevés à titre subsidiaire et concernent le cas où le Tribunal devait conclure à l’existence d’une aide d’État illégale. Ils dénoncent la violation de plusieurs principes généraux du droit de l’Union en ce que la Commission a partiellement ordonné la récupération de l’aide prétendument conférée. Ces moyens sont tirés de la violation, respectivement, des principes d’égalité de traitement, de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique.

102    À l’appui de leur recours dans l’affaire T‑719/13, Lico et PYMAR soulèvent trois moyens.

103    Le premier moyen, avancé au soutien de leur premier chef de conclusions, est tiré d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et de l’article 296 TFUE.

104    Le deuxième moyen, avancé à titre subsidiaire au soutien de leur deuxième chef de conclusions, est tiré d’une violation des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique, s’agissant de l’obligation de récupération.

105    Le troisième moyen, également avancé à titre subsidiaire au soutien de leur troisième chef de conclusions, conteste la méthode de calcul de l’aide définie par la Commission dans la décision attaquée (voir point 59 ci-dessus), qui ne respecterait pas les principes généraux applicables à la récupération des aides. En particulier, Lico et PYMAR avancent que cette méthode de calcul, telle qu’elle est décrite dans la décision attaquée, pourrait être interprétée comme exigeant des investisseurs qu’ils remboursent un montant correspondant au total de l’avantage fiscal qu’ils ont perçu en raison de la réduction de l’impôt, sans tenir compte du fait qu’ils ont transmis la majeure partie de cet avantage aux compagnies maritimes (voir point 21 ci-dessus).

106    Il convient d’examiner d’abord, conjointement, le premier moyen avancé par le Royaume d’Espagne, Lico et PYMAR dans les deux affaires, relatif à la qualification d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

1.     Sur le premier moyen, relatif à la qualification d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE

107    Le Royaume d’Espagne, Lico et PYMAR font valoir que la Commission a violé l’article 107, paragraphe 1, TFUE, dans la mesure où les conditions relatives à la sélectivité, au risque de distorsion de la concurrence et à l’affectation des échanges ne seraient pas remplies. Même si elles n’invoquent pas formellement une violation de l’article 296 TFUE sur ce point, Lico et PYMAR dénoncent dans leur requête le raisonnement illogique et contradictoire en ce qui concerne le respect de ces conditions. Par ailleurs, la Commission n’expliquerait pas comment la mesure pourrait avoir un effet sur les marchés désignés et elle se bornerait à considérer que cet effet est acquis sans le démontrer. Sans mentionner l’article 296 TFUE, le Royaume d’Espagne relève également dans sa réplique que la motivation de la décision attaquée est, d’une part, déficiente en ce qui concerne la preuve de l’attribution d’un avantage aux investisseurs du GIE et, d’autre part, incohérente s’agissant du critère de distorsion de la concurrence.

108    De surcroît, le Royaume d’Espagne, Lico et PYMAR font observer que les conditions relatives à la sélectivité, au risque de distorsion de la concurrence et à l’affectation des échanges devaient uniquement être établies à l’égard des avantages perçus par les investisseurs. À cet égard, le Royaume d’Espagne souligne que ces derniers sont les seules entités visées par l’ordre de récupération imposé par l’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée. Ainsi, la Commission aurait identifié comme seule aide aux fins de l’article 107, paragraphe 1, TFUE le prétendu avantage accordé à ces investisseurs. Lico et PYMAR ajoutent que l’avantage sélectif identifié par la Commission consiste essentiellement en un avantage fiscal. Or, en application du principe de transparence fiscale, les GIE, en tant que tels, n’obtiendraient aucun avantage, pas même fiscal, car celui-ci serait intégralement transféré à leurs membres. En réponse à une question du Tribunal (voir point 71 ci-dessus), le Royaume d’Espagne a rappelé que ni le statut de GIE ni le principe de transparence fiscale n’avaient été remis en cause par la Commission, au considérant 140 de la décision attaquée.

109    Dans le cadre de l’affaire T‑515/13, le Royaume d’Espagne ajoute certains arguments spécifiques.

110    Premièrement, contrairement à ce que la Commission soutiendrait aux considérants 116 à 119 de la décision attaquée, le RELF ne serait pas un « système » qui existerait en tant que tel dans la réglementation applicable. En effet, selon le Royaume d’Espagne, le dénommé RELF n’est qu’un ensemble d’actes juridiques réalisés par des contribuables. Ces derniers se limiteraient, dans le cadre d’une stratégie d’optimisation fiscale, à bénéficier d’une combinaison de mesures fiscales individuelles. Le RELF, en tant que tel, ne pourrait donc pas être imputé à l’État.

111    Deuxièmement, le Royaume d’Espagne fait observer que l’amortissement anticipé n’implique pas une baisse de l’impôt et ne confère donc pas un avantage fiscal.

112    Troisièmement, le Royaume d’Espagne conteste la conclusion de la Commission selon laquelle le régime de la taxation au tonnage, tel qu’elle l’avait autorisé (voir point 27 ci-dessus), ne couvrait pas les activités des GIE constitués aux fins du RELF.

113    Enfin, le Royaume d’Espagne fait valoir que l’article 50, paragraphe 3, du RIS ne constitue pas une exception audit régime, tel qu’il avait été autorisé.

114    Le Tribunal estime opportun d’examiner d’abord les arguments communs aux deux affaires, mentionnés aux points 107 et 108 ci-dessus, concernant l’analyse de la Commission relative à la sélectivité, au risque de distorsion de la concurrence et à l’affectation des échanges entre États membres. Dans le cadre de cet examen, il y a lieu, comme le suggèrent le Royaume d’Espagne, Lico et PYMAR, d’identifier au préalable les bénéficiaires des avantages économiques, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, découlant des mesures en cause.

a)     Identification des bénéficiaires des avantages économiques

115    La Commission a précisé, à l’article 1er de la décision attaquée, que trois des cinq mesures fiscales qui, selon elle, composent le RELF constituaient une aide d’État « aux GIE et à leurs investisseurs ». Il s’agit de l’amortissement anticipé (mesure 2) et de l’application du régime de la taxation au tonnage (mesure 4), tel que précisé par l’article 50, paragraphe 3, du RIS (mesure 5). L’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée prévoit cependant que le Royaume d’Espagne doit récupérer l’aide incompatible accordée au titre du régime visé à l’article 1er « auprès des investisseurs des GIE qui en ont bénéficié, sans que ces bénéficiaires puissent transférer la charge de la récupération à d’autres personnes ».

116    À cet égard, force est de constater que, si les GIE ont bénéficié des trois mesures fiscales visées à l’article 1er de la décision attaquée, ce sont les membres des GIE qui ont bénéficié des avantages économiques découlant de ces trois mesures. En effet, ainsi qu’il ressort du considérant 140 de la décision attaquée (voir point 41 ci-dessus), le principe de transparence fiscale applicable aux GIE n’a pas été remis en cause par la Commission en l’espèce. Sur la base de ce principe, les avantages fiscaux qui sont accordés aux GIE constitués aux fins du RELF ne peuvent bénéficier qu’à leurs membres, que la Commission qualifie de simples « investisseurs » (voir point 12 ci-dessus). Ces derniers sont d’ailleurs les seules entités visées par l’injonction de récupération imposée par l’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée.

117    En l’absence d’avantage économique en faveur des GIE, c’est à tort que la Commission a conclu, à l’article 1er de la décision attaquée, qu’ils avaient bénéficié d’une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

118    Dans la mesure où ce sont les investisseurs et non les GIE qui ont bénéficié des avantages fiscaux et économiques résultant du RELF, il convient d’examiner, sur la base des arguments des parties, si les avantages que les investisseurs ont perçus sont de nature sélective, s’ils risquent de fausser la concurrence et affectent les échanges entre les États membres et si la décision attaquée est suffisamment motivée concernant l’analyse de ces critères.

b)     Sur la condition relative à la sélectivité

119    Comme cela a été mentionné au point 97 ci-dessus, la Commission a conclu, en substance, dans la décision attaquée que le RELF était un « système » composé de cinq mesures fiscales, dont trois remplissaient toutes les conditions imposées par l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en ce compris celle relative à la sélectivité.

120    Comme cela est rappelé aux points 39 à 46 ci-dessus, la Commission a analysé le caractère sélectif de chacune des mesures fiscales qui, selon elle, composent le RELF, de manière individuelle, aux considérants 128 à 154 de la décision attaquée, pour analyser ensuite, de manière globale, la sélectivité du RELF comme « système », aux considérants 155 à 157 de la décision attaquée. La Commission précise, au considérant 120 de la décision attaquée, que l’analyse individuelle des mesures qui composent le RELF et leur examen global en tant que « système » sont « complémentaires et mènent à des conclusions cohérentes » (voir point 35 ci-dessus).

121    S’agissant de l’analyse individuelle par la Commission, la mesure 2 (amortissement anticipé) a été qualifiée de « sélective », car l’octroi de cet avantage dépendrait d’une autorisation accordée par le fisc sur la base d’un pouvoir discrétionnaire. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire aurait conduit le fisc à accorder ces autorisations uniquement dans le cas d’acquisitions de navires de mer dans le cadre du RELF et non dans d’autres circonstances (considérants 132 à 139 de la décision attaquée). La mesure 4 (application du régime de taxation au tonnage aux GIE constitués aux fins du RELF) et la mesure 5 (article 50, paragraphe 3, du RIS) seraient sélectives, car elles auraient favorisé certaines activités, à savoir l’affrètement coque nue (considérants 141 à 144 de la décision attaquée) ainsi que l’acquisition de navires par le biais de contrats de location-vente autorisés au préalable par l’administration fiscale et la revente de ces navires (considérants 145 à 154 de la décision attaquée).

122    S’agissant de l’analyse globale par la Commission, il convient de se référer, d’une part, au considérant 156 de la décision attaquée, qui est libellé comme suit : « Considérant le RELF dans son ensemble, l’avantage est sélectif parce qu’il est soumis au pouvoir discrétionnaire conféré à l’administration fiscale par la procédure obligatoire d’autorisation et par l’imprécision du libellé des conditions applicables à cet amortissement. Étant donné que d’autres mesures applicables uniquement aux activités de transport maritime éligibles en vertu des orientations maritimes – en particulier l’article 50, paragraphe 3, du [RIS] – dépendent de cette autorisation préalable, l’ensemble du RELF est sélectif. Par conséquent, l’administration fiscale n’autorise que les opérations au titre du RELF destinées à financer des navires de mer (sélectivité sectorielle). Comme le confirment les statistiques fournies par l’Espagne, l’ensemble des 273 opérations relevant du RELF montées jusqu’en juin 2010 concernent des navires de mer. » La Commission a donc conclu que l’avantage découlant du RELF dans son ensemble pouvait être considéré comme étant sélectif sur la base du pouvoir discrétionnaire identifié dans le cadre de l’analyse individuelle de la sélectivité de la mesure 2.

123    D’autre part, la Commission a soutenu, au considérant 157 de la décision attaquée, que « ce régime favoris[ait] certaines activités, à savoir l’acquisition de navires de mer par l’intermédiaire de contrats de location-vente, en particulier en vue de leur affrètement coque nue et de leur revente ultérieure ». Ces activités correspondent à celles qui, selon la décision attaquée, sont exercées par les GIE constitués aux fins du RELF et bénéficient de l’application des mesures 2, 4 et 5. Selon l’analyse individuelle visée au point 121 ci-dessus, chacune de ces mesures conférerait, de jure et de facto, un avantage sélectif aux entreprises exerçant ces activités (considérants 132 à 139 et 141 à 154 de la décision attaquée).

124    Il résulte ainsi de la décision attaquée que les mesures composant le RELF, prises individuellement et dans leur ensemble comme « système », sont sélectives pour deux raisons. D’une part, le RELF comme « système » serait sélectif au motif que le fisc, sur la base d’un pouvoir discrétionnaire, n’autoriserait le bénéfice des avantages en cause qu’aux « opérations au titre du RELF destinées à financer des navires de mer (sélectivité sectorielle) », opérations auxquelles participeraient les investisseurs. D’autre part, la sélectivité du RELF découlerait aussi du caractère sélectif des trois mesures fiscales qui le composent, prises individuellement. Ces mesures auraient favorisé, de jure et de facto, uniquement certaines activités.

125    Comme cela a déjà été indiqué au point 118 ci-dessus, il y a lieu d’examiner, à la lumière des arguments du Royaume d’Espagne, de Lico et de PYMAR, si ces deux raisons permettent d’établir la nature sélective des avantages fiscaux et économiques dont ont bénéficié les investisseurs et si la décision est suffisamment motivée.

126    Avant d’examiner ces questions, il convient de clarifier la portée des arguments du Royaume d’Espagne, de Lico et de PYMAR en réponse à certains arguments soulevés par la Commission. En effet, dans le cadre de l’affaire T‑515/13, la Commission a fait valoir que le Royaume d’Espagne n’avait pas contesté dans sa requête l’analyse globale de sélectivité faite aux considérants 155 à 163 de la décision attaquée. Or, le recours ne saurait prospérer que si le Royaume d’Espagne parvient à démontrer que les mesures, considérées individuellement et dans leur ensemble, ne constituent pas des aides d’État. Son analyse globale n’ayant pas été remise en cause par le Royaume d’Espagne, les arguments de ce dernier, relatifs à l’analyse individuelle des mesures, seraient inopérants . Lors de l’audience dans l’affaire T‑719/13, la Commission a fait valoir que Lico et PYMAR n’avaient pas contesté, quant à elles, l’analyse individuelle des mesures 2, 4 et 5 dans le cadre de leur premier moyen.

127    À cet égard, force est de constater que, au début de sa requête, le Royaume d’Espagne avance certains arguments de nature générale qui contestent l’analyse de la Commission en matière de sélectivité dans sa totalité. Ces arguments ont été développés davantage par le Royaume d’Espagne en réponse à une question écrite du Tribunal (voir point 71 ci-dessus) et lors de l’audience dans l’affaire T‑515/13. Par ailleurs, le Royaume d’Espagne conteste dans sa requête le pouvoir discrétionnaire identifié par la Commission dans le cadre de l’analyse individuelle de sélectivité de la mesure 2. Dès lors que la Commission se fonde sur ce pouvoir discrétionnaire pour établir, au considérant 156 de la décision attaquée, la sélectivité du RELF pris dans son ensemble, les arguments formulés par le Royaume d’Espagne sont également susceptibles de remettre en cause cette analyse.

128    S’agissant de Lico et de PYMAR, c’est à tort que la Commission a fait valoir lors de l’audience qu’elles n’avaient pas contesté l’analyse individuelle des mesures 2, 4 et 5. En effet, comme cela a déjà été indiqué (voir point 98 ci-dessus), lorsque Lico et PYMAR contestent que le RELF constitue un « système d’aides d’État », elles se réfèrent également aux composantes de ce dernier, mentionnées à l’article 1er de la décision attaquée. Il y a lieu d’observer également que les arguments avancés par Lico et PYMAR en matière de sélectivité contestent les conclusions de la Commission aux considérants 156 et 157 de la décision attaquée. Comme cela est indiqué aux points 122 et 123 ci-dessus, les constats faits par la Commission dans ces considérants reposent sur l’analyse individuelle des mesures 2, 4 et 5.

129    Il s’ensuit que les arguments de la Commission quant à la portée limitée des arguments du Royaume d’Espagne, de Lico et de PYMAR ne sont pas fondés.

 Autorisations accordées par le fisc, sur la base d’un pouvoir discrétionnaire, uniquement aux opérations au titre du RELF destinées à financer des navires de mer

130    Le Royaume d’Espagne, Lico et PYMAR font observer que la possibilité de participer aux structures du RELF et, partant, d’obtenir les avantages en cause était ouverte à tout investisseur opérant dans tous les secteurs de l’économie, sans aucune condition préalable ou restriction. Dès lors, les avantages perçus par les investisseurs ne pourraient pas être considérés comme sélectifs, notamment à la lumière des arrêts Autogrill España/Commission, point 71 supra (EU:T:2014:939), et Banco Santander et Santusa/Commission, point 71 supra (EU:T:2014:938).

131    Par ailleurs, le Royaume d’Espagne, Lico et PYMAR contestent l’existence d’un pouvoir discrétionnaire du fisc dans le cadre de la procédure d’autorisation prévue pour l’amortissement anticipé (mesure 2). Lico et PYMAR ajoutent que, dans le cadre de cette procédure d’autorisation, le contrôle exercé par l’administration ne concernait jamais les investisseurs. Lors de l’audience, le Royaume d’Espagne a également fait valoir que l’autorisation administrative visait uniquement à vérifier que l’actif pouvant être amorti de manière anticipée répondait aux critères de la réglementation applicable, ce qui n’aurait aucun lien avec la volonté de sélectionner de facto ou de jure certaines entreprises.

132    Dans son mémoire en défense dans l’affaire T‑719/13, la Commission rétorque que la mesure litigieuse est sélective à l’égard des investisseurs, parce que seules les entreprises qui réalisent un certain type d’investissement par l’intermédiaire d’un GIE en bénéficient, tandis que les entreprises qui réalisent des investissements similaires dans le cadre d’autres opérations ne pourraient pas en bénéficier. Une telle analyse serait conforme à la jurisprudence (arrêts du 15 juillet 2004, Espagne/Commission, C‑501/00, Rec, EU:C:2004:438, point 120 ; du 15 décembre 2005, Italie/Commission, C‑66/02, Rec, EU:C:2005:768, points 97 et 98, et Associazione italiana del risparmio gestito et Fineco Asset Management/Commission, point 89 supra, EU:T:2009:50, point 156).

133    En réponse à une question écrite du Tribunal dans les affaires T‑515/13 et T‑719/13 (voir point 71 ci-dessus), la Commission a fait valoir que l’approche retenue dans la décision attaquée n’était pas nouvelle. La jurisprudence l’aurait suivie dans diverses affaires portant sur des avantages fiscaux réservés aux entreprises réalisant un certain type d’investissement. À cet égard, la Commission se réfère à l’arrêt Espagne/Commission, point 132 supra (EU:C:2004:438), ainsi qu’à l’arrêt du 6 mars 2002, Diputación Foral de Álava e.a./Commission (T‑92/00 et T‑103/00, Rec, EU:T:2002:61).

134    En réponse à cette même question écrite du Tribunal (voir point 71 ci-dessus), la Commission affirme dans le cadre des deux affaires que l’interprétation du critère de sélectivité dans les arrêts Autogrill España/Commission, point 71 supra (EU:T:2014:939), et Banco Santander et Santusa/Commission, point 71 supra (EU:T:2014:938), ne lui semble pas conforme à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, tel qu’il est interprété par la jurisprudence, ce qui l’a conduite à introduire un pourvoi devant la Cour à l’encontre de ces arrêts (affaires C‑20/15 P et C‑21/15 P).

135    En toute hypothèse, la Commission fait observer que, même si l’interprétation du Tribunal dans les arrêts Autogrill España/Commission, point 71 supra (EU:T:2014:939), et Banco Santander et Santusa/Commission, point 71 supra (EU:T:2014:938), devait s’appliquer en l’espèce, le critère de sélectivité serait rempli en raison, notamment, de l’existence d’un système d’autorisation comportant des éléments discrétionnaires.

136    La Commission estime, contrairement à ce que soutiennent le Royaume d’Espagne, Lico et PYMAR, que les critères devant être remplis pour obtenir l’autorisation prévue par l’article 115, paragraphe 11, du TRLIS ne sont ni objectifs, ni inhérents au système fiscal, comme cela est exigé par la jurisprudence, ce qui démontrerait l’existence d’un pouvoir discrétionnaire.

137    En réponse à l’argument de Lico et de PYMAR selon lequel le pouvoir discrétionnaire concernerait uniquement les actifs et non les investisseurs, la Commission a fait valoir, dans la duplique dans l’affaire T‑719/13, que ce qui importait était que, par le biais de l’autorisation discrétionnaire, le bénéfice de l’aide n’avait été accordé qu’à un groupe déterminé d’opérateurs, à savoir ceux qui avaient reçu l’autorisation. Lors des audiences dans les affaires T‑515/13 et T‑719/13, la Commission a également souligné qu’il suffisait de constater l’existence d’un pouvoir discrétionnaire dans la procédure d’autorisation pour qu’il y ait une sélectivité de jure. Elle y a soutenu, en outre, que l’article 48, paragraphe 4, du TRLIS prévoyait des conditions spécifiques applicables aux investisseurs dans le cadre de cette autorisation. En particulier, le bénéfice de l’amortissement anticipé serait soumis à la condition que les membres du GIE maintiennent leur participation au sein de ce dernier jusqu’à la fin du contrat de location-vente.

138    À la lumière des arguments des parties, il convient de déterminer, en premier lieu, si l’avantage perçu par les investisseurs qui ont participé aux opérations au titre du RELF est sélectif, parce que seules les entreprises qui réalisaient ce type particulier d’investissement par l’intermédiaire d’un GIE en bénéficiaient. Dans la négative, il conviendrait d’examiner, en second lieu, si l’existence d’une procédure d’autorisation comportant des prétendus éléments discrétionnaires entraînait, en tout état de cause, une telle sélectivité.

–       Avantage lié à un certain type d’investissement

139    Il y a lieu de rappeler que, dans les arrêts Autogrill España/Commission, point 71 supra (EU:T:2014:939), et Banco Santander et Santusa/Commission, point 71 supra (EU:T:2014:938), invoqués par le Royaume d’Espagne, Lico et PYMAR au soutien de leurs arguments, la mesure litigeuse était un régime fiscal qui bénéficiait à tout opérateur assujetti en Espagne qui réalisait un certain type d’investissement, à savoir une prise de participation d’au moins 5 % dans des sociétés étrangères, de manière ininterrompue pendant au moins un an.

140    Dans ces arrêts, le Tribunal a considéré que l’existence d’une dérogation ou d’une exception au cadre de référence identifié par la Commission ne permettait pas, à elle seule, d’établir que la mesure litigieuse favorisait « certaines entreprises ou certaines productions » au sens de l’article 107 TFUE, si cette mesure était accessible, a priori, à toute entreprise (arrêts Autogrill España/Commission, point 71 supra, EU:T:2014:939, point 52, et Banco Santander et Santusa/Commission, point 71 supra, EU:T:2014:938, point 56).

141    En l’espèce, les bénéfices fiscaux du RELF sont réservés aux investisseurs qui prennent des participations dans des GIE constitués pour le financement de navires de mer dans le cadre du RELF. La Commission ne conteste cependant pas que cette possibilité était ouverte à toute entreprise assujettie en Espagne dans les mêmes conditions, sans que la loi impose un montant minimal nécessaire pour une telle prise de participation. La Commission a reconnu également, aux considérants 126 et 172 de la décision attaquée, que les investisseurs offraient des biens et des services sur un large éventail de marchés et qu’ils opéraient dans tous les secteurs de l’économie.

142    Il s’ensuit que, comme dans les affaires examinées par le Tribunal dans les arrêts Autogrill España/Commission, point 71 supra (EU:T:2014:939), et Banco Santander et Santusa/Commission, point 71 supra (EU:T:2014:938), tout opérateur pouvait bénéficier des avantages fiscaux en cause en réalisant un certain type d’opération ouverte, dans les mêmes conditions, à toute entreprise sans distinction.

143    Comme dans ces affaires, le fait que les avantages en cause soient accordés en raison d’un investissement dans un bien particulier à l’exclusion d’autres biens ou d’autres types d’investissements ne les rend pas sélectifs à l’égard des investisseurs dans la mesure où l’opération est ouverte à toute entreprise (voir, en ce sens, arrêts Autogrill España/Commission, point 71 supra, EU:T:2014:939, points 59 à 61, et Banco Santander et Santusa/Commission, point 71 supra, EU:T:2014:938, points 63 à 65).

144    Dès lors, il y a lieu de rejeter l’argument de la Commission selon lequel la mesure litigieuse est sélective à l’égard des investisseurs, parce que seules les entreprises qui réalisent un certain type d’investissement par l’intermédiaire d’un GIE en bénéficient.

145    Les arrêts Autogrill España/Commission, point 71 supra (EU:T:2014:939), et Banco Santander et Santusa/Commission, point 71 supra (EU:T:2014:938), sont, certes, sous pourvoi (affaires C‑20/15 P et C‑21/15 P). Toutefois, le Tribunal estime qu’il peut statuer dans le cadre des présentes affaires sur la base de la jurisprudence existante, comme cela est demandé par les parties (voir point 73 ci-dessus).

146    En effet, la Cour a déjà jugé qu’un allégement fiscal dont bénéficient les contribuables en raison d’un certain type d’investissement – en l’occurrence, des prises de participation dans des sociétés de capitaux ayant leur siège et leur direction dans les nouveaux Länder fédéraux ainsi qu’à Berlin-Ouest et n’employant pas plus de 250 salariés – conférait à ces contribuables un avantage qui, en tant que mesure générale applicable sans distinction à tous les opérateurs économiques, n’était pas une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission, C‑156/98, Rec, EU:C:2000:467, point 22). Sur ce point, la Cour n’a fait que confirmer le constat de la Commission dans la décision litigieuse selon lequel l’allégement fiscal en cause constituait une mesure générale ne comportant aucun élément d’aide en faveur des personnes soumises à l’impôt. En revanche, tant la Cour que la Commission ont estimé dans cette affaire que la mesure en cause visait à modifier le comportement des investisseurs afin d’augmenter les fonds propres des entreprises des nouveaux Länder et de Berlin-Ouest et conférait, dès lors, à ces dernières un avantage sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (arrêt Allemagne/Commission, précité, EU:C:2000:467, point 23).

147    Dans l’arrêt Associazione italiana del risparmio gestito et Fineco Asset Management/Commission, point 89 supra (EU:T:2009:50), le Tribunal a examiné, au regard des règles applicables en matière d’aides d’État, certaines incitations fiscales accordées en Italie en faveur d’organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) spécialisés dans la détention d’actions dans des sociétés à capitalisation faible et moyenne. Dans la décision litigieuse, la Commission a constaté que la réduction de l’impôt en cause profitait directement aux souscripteurs de participations dans ces OPCVM. Toutefois, la Commission a considéré que cette réduction de l’impôt accordée aux souscripteurs n’était pas sélective, dès lors qu’elle constituait une mesure générale applicable à tout investisseur. En revanche, la Commission a considéré que les incitations fiscales en cause accordaient un avantage sélectif indirect aux OPCVM ou, le cas échéant, à leurs sociétés de gestion, étant donné que la réduction de l’impôt sur les investissements dans ces OPCVM poussait les souscripteurs à acquérir des participations dans ces structures. La Commission a également considéré que la mesure en cause accordait un avantage sélectif indirect aux sociétés à capitalisation faible ou moyenne dont les actions étaient détenues par les OPCVM, sous la forme d’une augmentation de la demande de leurs actions et d’une augmentation de leur liquidité, liées à la plus forte attractivité du placement. L’existence d’un avantage sélectif indirect en faveur de ces trois catégories d’acteurs a été confirmée par le Tribunal dans son arrêt Associazione italiana del risparmio gestito et Fineco Asset Management/Commission, point 89 supra (EU:T:2009:50). Il s’ensuit que, dans cette affaire, comme dans l’arrêt Allemagne/Commission, point 146 supra (EU:C:2000:467, points 22 et 23), la sélectivité n’a pas été retenue à l’égard des investisseurs, alors qu’ils bénéficiaient d’une réduction de l’impôt.

148    Il en ressort que, lorsqu’un avantage est accordé, dans les mêmes conditions, à toute entreprise en raison de la réalisation d’un certain type d’investissement accessible à tout opérateur, il revêt un caractère général à l’égard de ces opérateurs et ne constitue pas une aide d’État au bénéfice de ces derniers.

149    De surcroît, il y a lieu de relever que, dans son arrêt du 22 février 2006, Le Levant 001 e.a./Commission (T‑34/02, Rec, EU:T:2006:59), le Tribunal a déjà eu l’occasion de se prononcer sur une décision de la Commission concernant des allégements fiscaux accordés à des investisseurs qui participaient à une opération de financement, mise en place par une banque, en vue de l’acquisition et de l’exploitation d’un navire par une compagnie maritime. Dans le cadre de cette opération, les investisseurs répercutaient la majeure partie de l’avantage à la compagnie maritime, qui achetait le navire au terme de l’opération. Dans la décision litigieuse, la Commission a déclaré l’aide incompatible et ordonné sa récupération auprès des seuls investisseurs, dès lors que l’avantage n’avait pas encore été répercuté à la compagnie maritime. Dans son arrêt, le Tribunal a constaté que la décision litigieuse n’examinait pas en quoi les conditions fixées à l’article 107, paragraphe 1, TFUE étaient satisfaites en l’espèce. S’agissant, plus particulièrement, de la condition liée à l’identification d’un avantage qui favorise certaines entreprises ou productions, le Tribunal a observé qu’il ressortait de la décision litigieuse que, si les bénéficiaires directs de l’aide étaient les investisseurs privés, les effets de l’aide sur la concurrence étaient liés au fait pour la compagnie maritime de pouvoir exploiter le navire à des conditions favorables. Le Tribunal a conclu que, en n’examinant pas en quoi le fait pour les investisseurs privés d’être bénéficiaires d’un avantage fiscal constituait un avantage concurrentiel au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, alors même que ledit avantage concurrentiel était attribué à la compagnie maritime, la décision attaquée ne permettait pas de comprendre pour quelles raisons les investisseurs privés étaient avantagés par l’aide en cause (voir, en ce sens, arrêt Le Levant 001 e.a./Commission, précité, EU:T:2006:59, points 113 et 118 à 120). Cet arrêt confirme donc que, dans certaines circonstances proches du cas d’espèce, le fait de bénéficier d’un avantage fiscal lié à un investissement n’implique pas nécessairement de bénéficier d’un avantage concurrentiel au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

150    La jurisprudence invoquée par la Commission dans le cadre des affaires T‑515/13 et T‑719/13 ne permet pas de considérer qu’un avantage accordé, dans les mêmes conditions, à toute entreprise réalisant un certain type d’investissement accessible à tout opérateur est sélectif.

151    En premier lieu, s’agissant de l’arrêt Espagne/Commission, point 132 supra (EU:C:2004:438, point 120), la Cour a, certes, retenu le caractère sélectif d’une déduction fiscale liée à la réalisation de certains investissements. Toutefois, comme cela est souligné par le Tribunal dans les arrêts Autogrill España/Commission, point 71 supra (EU:T:2014:939, points 79 et 82), et Banco Santander et Santusa/Commission, point 71 supra (EU:T:2014:938, points 83 et 86), cette mesure ne s’appliquait qu’à des entreprises ayant des activités d’exportation, à l’exclusion d’autres entreprises. Or, dans les présentes affaires, les avantages en cause étaient ouverts à toute entreprise.

152    En deuxième lieu, s’agissant de l’arrêt Italie/Commission, point 132 supra (EU:C:2005:768, points 97 et 98), le dispositif fiscal examiné profitait aussi uniquement aux entreprises du secteur bancaire et ne profitait pas à des entreprises dans d’autres secteurs, contrairement au cas d’espèce.

153    En troisième lieu, s’agissant de l’arrêt Associazione italiana del risparmio gestito et Fineco Asset Management/Commission, point 89 supra (EU:T:2009:50, point 156), l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE n’a été identifiée, de manière indirecte, qu’à l’égard des OPCVM en cause, de leurs sociétés de gestion, le cas échéant, et des entreprises dans lesquelles les OPCVM détenaient des actions et non à l’égard des investisseurs qui, selon la Commission, bénéficiaient de la réduction de l’impôt (voir point 147 ci-dessus). Or, en l’espèce, la Commission n’a pas fait état dans la décision attaquée, notamment à son considérant 163, de l’existence d’un avantage indirect en faveur des GIE qui découlerait des avantages fiscaux accordés aux investisseurs qui prenaient des participations dans ces GIE.

154    En quatrième lieu, s’agissant de l’arrêt Diputación Foral de Álava e.a./Commission, point 133 supra (EU:T:2002:61), il convient de rappeler que le Tribunal a examiné dans cet arrêt la sélectivité de deux mesures fiscales. La première mesure était un crédit d’impôt qui s’appliquait à des investissements dans la région d’Álava ayant certaines caractéristiques, en particulier, un montant minimal de 2,5 milliards de pesetas espagnoles (ESP), ce qui réservait de facto l’avantage fiscal aux entreprises disposant de ressources financières importantes, à l’exclusion d’autres entreprises. La seconde mesure était une réduction de l’assiette d’imposition qui ne bénéficiait qu’aux entreprises nouvellement créées dans la région d’Álava qui respectaient certains critères relatifs, notamment, à un investissement minimal et à la création d’un certain nombre de postes de travail. Les deux mesures en cause ne conféraient donc pas un avantage à tout opérateur qui réalisait certaines opérations d’investissement dans la région d’Álava, mais leur bénéfice était réservé à certaines entreprises, à l’exclusion d’autres entreprises. Or, en l’espèce, il est constant que la possibilité d’investir dans des GIE était ouverte, dans les mêmes conditions, à toute entreprise, sans que la loi impose un montant minimal nécessaire pour une telle prise de participation.

155    Il s’ensuit que l’avantage perçu par les investisseurs qui ont participé aux opérations au titre du RELF ne peut pas être considéré comme étant sélectif au motif que seules les entreprises qui réalisaient ce type particulier d’investissement par l’intermédiaire d’un GIE en bénéficiaient.

156    Comme cela est indiqué au point 138 ci-dessus, il convient, dès lors, d’examiner ci-après si l’existence d’une procédure d’autorisation comportant des prétendus éléments discrétionnaires était susceptible, en tout état de cause, de conférer à cet avantage un caractère sélectif.

–       Sélectivité issue d’un prétendu pouvoir discrétionnaire du fisc

157    La Commission fait observer que, en tout état de cause, une sélectivité pouvait être constatée en l’espèce en raison de l’existence d’un système d’autorisation comportant des éléments discrétionnaires, qui n’existait pas dans les affaires examinées par le Tribunal dans les arrêts Autogrill España/Commission, point 71 supra (EU:T:2014:939), et Banco Santander et Santusa/Commission, point 71 supra (EU:T:2014:938). Conformément à la jurisprudence, lorsque l’organisme qui octroie des avantages financiers dispose d’un pouvoir discrétionnaire qui lui permet de déterminer les bénéficiaires ou les conditions de la mesure accordée, celle-ci ne saurait être considérée comme présentant un caractère général (voir, en ce sens, arrêts du 29 juin 1999, DM Transport, C‑256/97, Rec, EU:C:1999:332, point 27 et jurisprudence citée, et du 18 juillet 2013, P, C‑6/12, Rec, EU:C:2013:525, point 25).

158    À cet égard, force est de constater que, malgré l’existence d’un système d’autorisation comportant des prétendus éléments discrétionnaires, les avantages en cause demeuraient ouverts dans les mêmes conditions, à tout investisseur qui décidait de participer aux opérations au titre du RELF destinées à financer des navires de mer par l’achat de prises de participation dans les GIE constitués par les banques.

159    En effet, comme cela est relevé par le Royaume d’Espagne, Lico et PYMAR, il ressort du considérant 133 de la décision attaquée que les conditions d’autorisation prévues par l’article 115, paragraphe 11, du TRLIS, telles qu’elles sont précisées par l’article 49 du RIS – que la Commission considère comme vagues et requérant une interprétation de l’administration lui conférant un pouvoir discrétionnaire (voir point 40 ci-dessus) – portent, de jure, uniquement sur les caractéristiques de l’actif qui peut être amorti de manière anticipée. La Commission a fait observer, au considérant 134 de la décision attaquée, que l’exercice du pouvoir discrétionnaire en l’espèce aurait conduit le fisc à accepter uniquement l’amortissement anticipé pour une catégorie particulière d’actifs, à savoir des navires de mer passés du régime ordinaire de l’impôt sur les sociétés au régime de la taxation au tonnage (voir point 40 ci-dessus). Il ressort également, en substance, des considérants 66, 116, 134 et 156 de la décision attaquée que les avantages en cause n’ont été refusés à aucune « opération au titre du RELF ».

160    Il s’ensuit que le pouvoir discrétionnaire du fisc, à supposer qu’il puisse être établi, n’aurait conduit, de jure et de facto, qu’à définir le type d’opération susceptible de bénéficier des avantages fiscaux en cause, à savoir les opérations au titre du RELF destinées à financer des navires de mer, à l’exclusion d’autres biens. Il n’en demeure pas moins que la possibilité de participer à ces opérations était ouverte, sans aucune restriction, à toute entreprise sans discrimination. Dans ces conditions, l’avantage dont ont bénéficié ces dernières ne pouvait pas être considéré comme étant sélectif sur la base d’un prétendu pouvoir discrétionnaire du fisc, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 140, 146 et 147 ci-dessus.

161    Le fait, souligné par la Commission lors des audiences dans les deux affaires, que l’article 48, paragraphe 4, du TRLIS impose aux membres du GIE, pour le bénéfice de l’amortissement anticipé, de maintenir leur participation au sein de ce dernier jusqu’à la fin du contrat de location-vente n’infirme pas ce constat. Il s’agit, en effet, d’une condition d’application de l’avantage, dont toute entreprise, active dans tout secteur de l’économie, pouvait bénéficier. Il convient d’observer à cet égard que le bénéfice des mesures fiscales en cause dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts Autogrill España/Commission, point 71 supra (EU:T:2014:939), et Banco Santander et Santusa/Commission, point 71 supra (EU:T:2014:938), était également soumis à la condition de maintien de la participation pour une certaine durée (voir point 139 ci-dessus).

162    Par ailleurs, il est important d’observer que l’existence de l’article 48, paragraphe 4, du TRLIS n’a pas empêché que des investisseurs achètent des participations au sein des GIE après l’octroi des autorisations par le fisc. Un tel constat, fait par le Royaume d’Espagne, Lico et PYMAR lors des audiences dans les deux affaires, confirme que l’accès aux avantages en cause demeurait ouvert à toute entreprise qui décidait de participer aux opérations au titre du RELF, indépendamment du système d’autorisation comportant des prétendus éléments discrétionnaires. L’existence de ce dernier ne saurait donc conférer en l’espèce une nature sélective aux avantages dont ont bénéficié les investisseurs.

163    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent (voir points 130 à 162 ci-dessus), c’est à tort que la Commission a conclu, au considérant 156 de la décision attaquée, que le RELF conférait un avantage sélectif aux investisseurs dans la mesure où l’administration fiscale n’autorisait, sur la base d’un prétendu pouvoir discrétionnaire, que les « opérations au titre du RELF destinées à financer des navires de mer », auxquelles ils participaient.

 Avantages liés à la réalisation de certaines activités

164    Comme cela a été rappelé aux points 123 et 124 ci-dessus, l’analyse globale de sélectivité de la Commission dans la décision attaquée repose également sur le constat selon lequel le RELF favorise « certaines activités, à savoir l’acquisition de navires de mer par l’intermédiaire de contrats de location-vente, en particulier en vue de leur affrètement coque nue et de leur revente ultérieure » (considérant 157 de la décision attaquée). Ces activités correspondent à celles qui, selon la décision attaquée, sont exercées par les GIE constitués aux fins du RELF et bénéficient de l’application des mesures 2, 4 et 5. Selon l’analyse individuelle effectuée aux considérants 132 à 139 et 141 à 154 de la décision attaquée, chacune de ces mesures conférerait, de jure et de facto, un avantage sélectif aux entreprises exerçant ces activités (voir points 40, 42 et 43 ci-dessus).

165    Dans leurs écrits, le Royaume d’Espagne, Lico et PYMAR font valoir que les investisseurs agissaient dans tous les secteurs de l’économie et détenaient des participations purement financières au sein des GIE, leur objectif étant l’obtention d’un avantage fiscal. Selon le Royaume d’Espagne, les participants (ou les actionnaires) d’une entreprise n’auraient aucune activité « sur le marché ». Lors de l’audience dans l’affaire T‑515/13, le Royaume d’Espagne a précisé que cet argument visait à constater que les membres des GIE agissaient en tant que simples investisseurs dans le cadre des GIE, comme la Commission l’aurait reconnu dans la décision attaquée. Le Royaume d’Espagne a également fait valoir lors de l’audience que, dans la décision attaquée, la Commission n’avait pas attribué aux investisseurs les activités d’affrètement coque nue, d’achat et de vente de navires. Dans le cadre de l’affaire T‑719/13, Lico et PYMAR font observer dans la requête que les investisseurs ne peuvent pas être considérés comme des acteurs du secteur identifié par la Commission aux considérants 156 et 157 de la décision attaquée. Lors de l’audience, Lico et PYMAR ont contesté la thèse selon laquelle les membres des GIE exerçaient les activités concrètes et spécifiques de ces derniers, comme s’ils formaient une seule entreprise.

166    Dans les mémoires en défense déposés dans les deux affaires, la Commission a brièvement fait observer que les investisseurs réalisaient, par le biais des GIE, les activités exercées par ces derniers. Dans ce contexte, l’argument du Royaume d’Espagne, selon lequel les actionnaires n’exercent aucune activité sur le marché, serait difficile à comprendre. S’agissant de la variété de secteurs auxquels les investisseurs appartiennent, la Commission précise dans l’affaire T‑719/13 que, à aucun moment, la décision attaquée ne relie le caractère sélectif de la mesure à l’un ou l’autre secteur d’activité des investisseurs.

167    Dans le cadre de sa réponse à une question écrite du Tribunal posée dans les deux affaires (voir point 71 ci-dessus), la Commission a développé davantage sa thèse selon laquelle les investisseurs réalisent, par le biais des GIE, les activités exercées par ces derniers. Selon elle, contrairement aux affaires examinées par le Tribunal dans les arrêts Autogrill España/Commission, point 71 supra (EU:T:2014:939), et Banco Santander et Santusa/Commission, point 71 supra (EU:T:2014:938), les avantages découlant du RELF auraient été accordés aux investisseurs non pas en raison de la réalisation de simples opérations d’investissement, mais en raison de l’exercice de certaines activités économiques par le biais des GIE, à savoir l’acquisition, la vente et l’affrètement coque nue de navires. Dans ce contexte, la Commission a fait valoir que, en vertu de la transparence fiscale des GIE, ces derniers et leurs membres pourraient être considérés comme les deux faces d’une même pièce ou, dans le contexte de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, de la même entreprise.

168    Interrogée par le Tribunal lors de l’audience dans l’affaire T‑515/13 sur une possible contradiction entre la thèse exposée au point 167 ci-dessus et la motivation de la décision attaquée, en particulier son considérant 28 (voir point 12 ci-dessus), la Commission a fait observer que ce considérant, qui qualifie les membres des GIE d’« investisseurs », ne serait qu’une simple explication terminologique qui ne contredirait pas sa thèse selon laquelle les GIE et leurs membres forment une unité économique. Interrogée de nouveau par le Tribunal lors de l’audience dans l’affaire T‑719/13 sur la motivation de la décision attaquée sur cette question, la Commission a indiqué que, même si sa thèse selon laquelle les GIE et leurs investisseurs constitueraient, ensemble, une seule entreprise au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ne figurait pas explicitement dans la décision attaquée, un tel constat découlerait de la nature même du GIE. À cet égard, la Commission a fait observer qu’un GIE était une entité fiscalement transparente, dont les membres seraient pleinement responsables de ses comportements et de ses dettes, de telle sorte que les activités que le GIE exerce seraient imputables à ses membres.

169    Il y a lieu de rappeler que, dans le cadre de son examen, le Tribunal doit déterminer si l’analyse individuelle par la Commission des mesures 2, 4 et 5, à laquelle renvoie, en substance, le considérant 157 de la décision attaquée, permet de considérer que les avantages perçus par les investisseurs, et non les GIE, remplissent la condition de sélectivité (voir point 118 ci-dessus).

170    Dans le cadre de cette analyse individuelle, la Commission a estimé que les mesures 2, 4 et 5 avaient bénéficié, de jure et de facto, à certaines activités, à savoir l’acquisition de navires par le biais de contrats de location-vente, leur affrètement coque nue et leur revente ultérieure.

171    Il est constant entre les parties que ces activités, qui ont été mentionnées également au considérant 157 de la décision attaquée, sont celles exercées par les GIE constitués aux fins du RELF. Dès lors, si la Commission avait considéré que les avantages perçus par les investisseurs étaient sélectifs en raison de la réalisation de ces activités, il lui appartenait de préciser dans la décision attaquée que les activités des GIE correspondaient à celles de leurs membres ou, à tout le moins, qu’elles pouvaient leur être attribuées.

172    À cet égard, il y a lieu de relever que le constat selon lequel les investisseurs exercent, au travers des GIE, les activités de ces derniers n’a été fait dans la décision attaquée qu’une seule fois et de manière non étayée, au considérant 172. En effet, dans le cadre de l’analyse des critères relatifs au risque de distorsion de la concurrence et des échanges entre les États membres, la Commission a affirmé que, « par le biais des opérations bénéficiant du RELF, [les investisseurs] op[éraient] au travers du GIE sur les marchés de l’affrètement coque nue et de l’achat et de la vente de navires de mer, qui sont ouverts au commerce intra-UE » (voir point 54 ci-dessus).

173    Toutefois, la Commission n’a, à aucun moment, expliqué dans la décision attaquée comment les activités des GIE constitués aux fins du RELF pouvaient être attribuées à leurs membres. En particulier, dans le cadre de l’analyse de la sélectivité des mesures individuelles en cause, la Commission s’est limitée à conclure que celles-ci conféraient un avantage sélectif aux GIE « et »/« ou » à leurs investisseurs (considérants 139 et 154 de la décision attaquée), sans fournir aucune précision supplémentaire. S’agissant du RELF considéré dans son ensemble, la Commission a fait observer que « l’avantage profit[ait] au GIE et, par transparence, à ses investisseurs ». Une telle précision ne permet cependant pas de comprendre pourquoi il pourrait être considéré que les membres des GIE constitués aux fins du RELF exercent les activités économiques de ces derniers comme s’ils formaient une entité juridique ou économique unique. Par ailleurs, lorsque la Commission a examiné, au considérant 126 de la décision attaquée, si les parties aux opérations relevant du RELF étaient des « entreprises » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, elle n’a fourni aucune indication permettant de supposer ou de comprendre que les GIE constitués aux fins du RELF et leurs membres formeraient, ensemble, une seule entité au sens de cette disposition, de telle sorte que les activités des GIE pouvaient être imputées à leurs membres.

174    De surcroît, il y a lieu d’observer que l’affirmation, au considérant 172 de la décision attaquée, selon laquelle les investisseurs « opèrent au travers du GIE sur les marchés de l’affrètement coque nue et de l’achat et de la vente de navires de mer » semble contredire d’autres considérants de la décision attaquée.

175    En effet, la Commission a relevé, au considérant 28 de la décision attaquée, que, « [é]tant donné que leurs membres consid[éraient] que les GIE qui particip[aient] à des opérations au titre du RELF constitu[aient] un vecteur d’investissement plutôt qu’une structure permettant d’exercer conjointement une activité, la[dite] décision les qualifi[ait] d’investisseurs ». La Commission a également fait observer, au considérant 27 de la décision attaquée, que « les GIE espagnols [avaient] une personnalité juridique distincte de celle de leurs membres ». Enfin, la Commission a précisé que, en général, les investisseurs « n’exer[çaient] aucune activité maritime » [point 9, sous b), de la décision d’ouverture, auquel renvoie, en substance, le considérant 14 de la décision attaquée].

176    Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que le constat fait par la Commission, notamment au considérant 157 de la décision attaquée, selon lequel le RELF favorise « certaines activités, à savoir l’acquisition de navires de mer par l’intermédiaire de contrats de location-vente, en particulier en vue de leur affrètement coque nue et de leur revente ultérieure » vise les activités des GIE constitués aux fins du RELF, mais ne concerne pas les activités industrielles ou économiques des membres des GIE, qui prennent des participations au sein de ces derniers en tant qu’« investisseurs ». Dès lors, la Commission ne pouvait pas se fonder uniquement sur le constat fait au considérant 157 de la décision attaquée, ni sur l’analyse de sélectivité individuelle des mesures 2, 4 et 5 à laquelle ce considérant renvoie en substance, pour établir la sélectivité des avantages perçus par les investisseurs.

177    Si, comme le suggère la Commission devant le Tribunal, il fallait comprendre, à la lecture de la décision attaquée, qu’elle a estimé que les investisseurs exerçaient, au travers des GIE, les activités citées au point 176 ci-dessus et que la sélectivité des avantages qu’ils avaient perçus pouvait être établie sur cette base, la décision attaquée serait entachée d’un défaut de motivation, voire d’une contradiction de motifs, sur ce point. Le défaut de motivation relevant de la violation des formes substantielles au sens de l’article 263 TFUE, le Tribunal doit le soulever d’office, les parties ayant été entendues dans le respect du principe du contradictoire (voir, en ce sens, arrêt du 2 décembre 2009, Commission/Irlande e.a., C‑89/08 P, Rec, EU:C:2009:742, points 34 et 55).

 Conclusion en matière de sélectivité

178    À la lumière des considérations qui précèdent (voir points 115 à 177 ci-dessus), c’est à tort que la Commission a identifié dans la décision attaquée l’existence d’un avantage sélectif et, partant, d’une aide d’État en faveur des GIE et des investisseurs.

179    S’agissant des GIE, ils ont certes bénéficié des mesures fiscales en cause. Toutefois, en vertu du principe de transparence fiscale, les avantages découlant directement de ces mesures n’ont bénéficié qu’à leurs membres (voir points 115 à 117 ci-dessus). Par ailleurs, l’existence d’un avantage indirect en faveur des GIE découlant des mesures en cause n’a pas été mentionnée dans la décision attaquée (voir point 153 ci-dessus).

180    S’agissant des membres des GIE, que la décision attaquée qualifie d’« investisseurs », les avantages économiques dont ils ont bénéficié étaient ouverts, dans les mêmes conditions, à tout opérateur assujetti en Espagne sans distinction, et ce malgré l’existence d’un système d’autorisation. C’est donc à tort que la Commission a considéré que les investisseurs avaient bénéficié d’un avantage sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE en raison de leur participation à un certain type d’opération avantagée (voir points 130 à 163 ci-dessus). Les activités mentionnées, notamment au considérant 157 de la décision attaquée, pour identifier également la sélectivité des avantages sont celles exercées par les GIE et non par les investisseurs, qui sont les seuls opérateurs visés par l’ordre de récupération imposé par l’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée. Dès lors, la sélectivité des avantages perçus par les investisseurs ne pouvait pas non plus être établie sur cette base. Même en supposant que la décision attaquée puisse être comprise dans le sens que les investisseurs exercent, par le biais des GIE constitués aux fins du RELF, les activités particulières de ces derniers, la décision serait entachée d’un défaut de motivation, voire d’une contradiction de motifs, sur ce point (voir points 164 à 177 ci-dessus).

c)     Sur l’analyse relative au risque de distorsion de la concurrence et à l’affectation des échanges entre États membres

181    Comme cela a été indiqué aux points 53 et 54 ci-dessus, l’analyse de la Commission relative au risque de distorsion de la concurrence et à l’affectation des échanges entre États membres figure aux considérants 171 à 173 de la décision attaquée. Après avoir rappelé quelques principes jurisprudentiels (considérant 171 de la décision attaquée), la Commission a fait observer, au considérant 172 de la décision attaquée, ce qui suit : « En l’espèce, les investisseurs, c’est-à-dire les membres des GIE, opèrent dans tous les secteurs de l’économie, notamment dans des secteurs ouverts au commerce intra-UE. En outre, par le biais des opérations bénéficiant du RELF, ils opèrent au travers du GIE sur les marchés de l’affrètement coque nue et de l’achat et de la vente de navires de mer, qui sont ouverts au commerce intra-UE. Les avantages qui découlent du RELF renforcent leur position sur leurs marchés respectifs, ce qui fausse ou menace de fausser la concurrence. » La Commission a conclu, au considérant 173 de la décision attaquée, que « l’avantage économique dont jouiss[aient] les GIE et leurs investisseurs qui bénéfici[aient] des mesures en cause [pouvait] affecter le commerce entre les États membres et fausser la concurrence sur le marché intérieur ».

182    Il y a lieu de rappeler que Lico et PYMAR, dans la requête, et le Royaume d’Espagne, dans la réplique, contestent, en substance, non seulement le bien-fondé de l’analyse de la Commission rappelé au point 181 ci-dessus, mais également la motivation de la décision attaquée (voir point 107 ci-dessus). Il convient, dès lors, de rejeter l’argument de la Commission, avancé dans le cadre de l’affaire T‑719/13, selon lequel la contestation par Lico et PYMAR de la motivation de la décision attaquée sur ce point serait tardive.

183    En tout état de cause, comme cela est rappelé au point 177 ci-dessus, un défaut ou une insuffisance de motivation relève de la violation des formes substantielles, au sens de l’article 263 TFUE, et constitue un moyen d’ordre public pouvant, d’une part, être invoqué par les parties à tout stade de la procédure et, d’autre part, être soulevé d’office par le juge de l’Union dans le respect du principe du contradictoire (voir, en ce sens, arrêts du 20 février 1997, Commission/Daffix, C‑166/95 P, Rec, EU:C:1997:73, points 24 et 25 ; Commission/Irlande e.a., point 177 supra, EU:C:2009:742, points 34 et 55, et du 8 juillet 2004, Mannesmannröhren-Werke/Commission, T‑44/00, Rec, EU:T:2004:218, point 210 et jurisprudence citée).

184    En l’espèce, en réponse à une question écrite du Tribunal dans l’affaire T‑515/13 (voir point 69 ci-dessus) et à une question orale dans l’affaire T‑719/13, les parties dans les deux affaires ont été entendues lors des audiences sur la question de savoir si la décision attaquée satisfaisait à l’obligation de motivation prévue par l’article 296 TFUE dans le cadre de l’analyse des critères relatifs au risque de distorsion de la concurrence et à l’affectation des échanges.

185    Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée à l’article 296 TFUE et à l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte incriminé, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et au juge de l’Union d’exercer son contrôle. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE et de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux doit être appréciée non seulement au regard de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêts du 6 septembre 2006, Portugal/Commission, C‑88/03, Rec, EU:C:2006:511, point 88 et jurisprudence citée, et du 28 mai 2013, Trabelsi e.a./Conseil, T‑187/11, Rec, EU:T:2013:273, points 66 et 67 et jurisprudence citée).

186    Il importe également de rappeler que l’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications (arrêt du 13 mars 1985, Pays-Bas et Leeuwarder Papierwarenfabriek/Commission, 296/82 et 318/82, EU:C:1985:113, point 19).

187    La Commission rappelle à bon droit, au considérant 171 de la décision attaquée, que lorsqu’une aide accordée par un État membre renforce la position d’une entreprise par rapport à d’autres entreprises concurrentes dans les échanges au sein de l’Union, ces derniers doivent être considérés comme influencés par l’aide (voir arrêt du 10 janvier 2006, Cassa di Risparmio di Firenze e.a., C‑222/04, Rec, EU:C:2006:8, point 141 et jurisprudence citée).

188    Quant à la condition de la distorsion de la concurrence, il ressort de la jurisprudence que les aides qui visent à libérer une entreprise des coûts qu’elle aurait normalement dû supporter dans le cadre de sa gestion courante ou de ses activités normales faussent en principe les conditions de concurrence (arrêts Allemagne/Commission, point 146 supra, EU:C:2000:467, point 30, et du 3 mars 2005, Heiser, C‑172/03, Rec, EU:C:2005:130, point 55).

189    Comme la Commission le rappelle dans les deux affaires, il y a lieu non pas d’établir une incidence réelle de l’aide sur les échanges entre États membres et une distorsion effective de la concurrence, mais seulement d’examiner si l’aide est susceptible d’affecter ces échanges et de fausser la concurrence (voir arrêt Cassa di Risparmio di Firenze e.a., point 187 supra, EU:C:2006:8, point 140 et jurisprudence citée).

190    S’agissant des régimes d’aides, il y a lieu de rappeler également que la Commission peut se borner à une appréciation générale du régime en cause, sans être tenue d’effectuer une analyse de l’aide octroyée dans chaque cas individuel sur le fondement d’un tel régime (arrêt Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, point 87 supra, EU:C:2011:368, point 63).

191    La Commission fait observer, à juste titre, dans le cadre des deux affaires, qu’il ressort de la jurisprudence que l’octroi d’une aide par un État membre, sous forme d’un allégement fiscal, à certains de ses assujettis doit être considéré comme susceptible d’affecter ces échanges et, par conséquent, comme remplissant cette condition, dès lors que lesdits assujettis exercent une activité économique faisant l’objet de tels échanges ou qu’il ne saurait être exclu qu’ils soient en concurrence avec des opérateurs établis dans d’autres États membres (voir, en ce sens, arrêt Heiser, point 188 supra, EU:C:2005:130, point 35).

192    Il n’en demeure pas moins que l’obligation de motivation exige que soient indiquées les raisons pour lesquelles la Commission considère que la mesure en cause entre dans le champ d’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. À cet égard, même dans les cas où il ressort des circonstances dans lesquelles l’aide a été accordée qu’elle est de nature à affecter les échanges entre États membres et à fausser ou à menacer de fausser la concurrence, il incombe tout au moins à la Commission d’évoquer ces circonstances dans les motifs de sa décision (voir, en ce sens, arrêt Pays-Bas et Leeuwarder Papierwarenfabriek/Commission, point 186 supra, EU:C:1985:113, point 24).

193    Il y a lieu de rappeler également que la Cour a déjà jugé que, lorsque certaines circonstances particulières l’exigent, la Commission doit motiver sa décision de manière plus approfondie, en donnant des indications pertinentes concernant les effets prévisibles de l’aide sur la concurrence et les échanges entre États membres. Tel était le cas d’une aide d’un montant faible qui visait uniquement à financer un programme de pénétration commerciale, et non des exportations, dans des États tiers (voir, en ce sens, arrêt du 30 avril 2009, Commission/Italie et Wam, C‑494/06 P, Rec, EU:C:2009:272, points 56, 57 et 62).

194    C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner la motivation de la décision attaquée concernant le risque de distorsion de la concurrence et l’affectation des échanges entre États membres.

195    Dans le cadre des deux affaires, la Commission renvoie au considérant 172 de la décision attaquée en faisant valoir qu’elle a suffisamment motivé sa décision quant à ces deux conditions.

196    Comme cela a été rappelé au point 181 ci-dessus, le raisonnement de la Commission, au considérant 172 de la décision attaquée, repose sur deux constats. D’une part, les investisseurs opéreraient dans tous les secteurs de l’économie, notamment ceux ouverts aux échanges entre États membres, et les avantages en cause renforceraient leur position sur leurs marchés respectifs. D’autre part, les investisseurs opéreraient, au travers du GIE, sur les marchés sur lesquels ces derniers sont actifs, qui sont également ouverts au commerce entre États membres.

197    Il convient d’examiner si les deux piliers du raisonnement de la Commission sont suffisamment motivés.

 Sur le premier pilier du raisonnement de la Commission

198    S’agissant du constat de la Commission selon lequel les investisseurs opèrent dans tous les secteurs de l’économie et les avantages renforcent leur position sur leurs marchés respectifs, force est de constater qu’il s’agit d’une affirmation de portée générale susceptible d’être appliquée à tout type de soutien étatique. Elle ne se réfère à aucune circonstance spécifique qui expliquerait pourquoi, en l’espèce, les mesures litigieuses risquent de distordre la concurrence et affectent les échanges sur les marchés sur lesquels les investisseurs opèrent.

199    Il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il ressort du considérant 1 de la décision attaquée, les plaintes reçues par la Commission, soutenues au moins par une compagnie maritime, dénonçaient une distorsion de la concurrence et des échanges sur le marché de la construction navale et non sur les marchés sur lesquels opèrent les investisseurs (voir point 1 ci-dessus). Il convient d’observer également que la Commission a retenu, aux considérants 122 et 156 de la décision attaquée, une « sélectivité sectorielle » des mesures en cause (voir points 36 et 45 ci-dessus), alors qu’elle a établi que les investisseurs agissaient dans tous les secteurs de l’économie. Par ailleurs, la Commission a constaté, au considérant 19 de la décision attaquée, que les investisseurs ne retenaient dans le cadre du RELF qu’une fraction réduite (de l’ordre de 10 % à 15 %) de l’avantage, la majeure partie de cet avantage (de 85 % à 90 %) étant transmis à la compagnie maritime qui achetait le navire (voir point 21 ci-dessus). De surcroît, dans le but de « rétablir la situation concurrentielle sur le(s) marché(s) où la distorsion s’est produite », la Commission a remis en cause, aux considérants 270 à 276 et à l’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée, certaines clauses dans des contrats conclus entre les investisseurs, les compagnies maritimes et les chantiers navals, en vertu desquelles les chantiers navals étaient dans l’obligation d’indemniser les autres parties si elles ne pouvaient pas obtenir les avantages fiscaux prévus (voir point 60 ci-dessus). En d’autres termes, au nom d’un rétablissement de la concurrence sur les marchés où opèrent les investisseurs et qui auraient été affectés par l’aide, la Commission a exigé, à l’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée, que ces derniers ne transfèrent pas la charge de la récupération à d’autres personnes. Lors de l’audience dans l’affaire T‑719/13, la Commission n’a pas contesté que le fait de prévoir une telle exigence dans le dispositif d’une décision en matière d’aides d’État n’était pas habituel.

200    Dans ces circonstances particulières, il incombait à la Commission de fournir plus d’indications permettant de comprendre comment l’avantage retenu par les investisseurs, et non les compagnies maritimes ou les chantiers navals, était susceptible de fausser ou de menacer de fausser la concurrence et d’affecter les échanges au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE sur les marchés sur lesquels ils opéraient.

201    La jurisprudence invoquée par la Commission lors des audiences dans les deux affaires (arrêts DM Transport, point 157 supra, EU:C:1999:332, et du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 et C‑217/03, Rec, EU:C:2006:416) ne remet pas en cause ce constat.

202    En effet, dans les affaires examinées dans ces arrêts, les circonstances particulières évoquées au point 199 ci-dessus n’étaient pas réunies.

203    Par ailleurs, dans l’arrêt Belgique et Forum 187/Commission, point 201 supra (EU:C:2006:416), cité par la Commission lors de l’audience dans l’affaire T‑515/13, la Cour a bien identifié un des problèmes de concurrence qui se posait dans cette affaire. En effet, les avantages accordés aux entreprises multinationales qui installaient leurs « centres de coordination » en Belgique permettaient à ces multinationales d’organiser en interne ces services de coordination au lieu de faire appel à des prestataires de services dans les secteurs financiers, fiduciaires, informatiques et du recrutement (arrêt Belgique et Forum 187/Commission, point 201 supra, EU:C:2006:416, point 132). S’agissant de l’arrêt DM Transport, point 157 supra (EU:C:1999:332), invoqué par la Commission lors de l’audience dans l’affaire T‑719/13, la Cour s’est prononcée sur certains avantages accordés à une entreprise de déménagement. Or, dans le cadre de son analyse, la Cour a également pris en compte la situation spécifique du bénéficiaire, en particulier, la nature transfrontalière du marché sur lequel il opérait (arrêt DM Transport, point 157 supra, EU:C:1999:332, point 29).

204    Il résulte de ce qui précède que le premier pilier du raisonnement de la Commission concernant son analyse du risque de distorsion de la concurrence et l’affectation des échanges n’est pas suffisamment motivé.

 Sur le second pilier du raisonnement de la Commission

205    La Commission a ajouté, au considérant 172 de la décision attaquée, que, « [e]n outre, par le biais des opérations bénéficiant du RELF, [les investisseurs] op[éraient] au travers du GIE sur les marchés de l’affrètement coque nue et de l’achat et de la vente de navires de mer, qui sont ouverts au commerce intra-UE ».

206    Comme cela est indiqué aux points 173 à 175 ci-dessus, la Commission n’a pas expliqué dans la décision attaquée pourquoi les GIE constitués aux fins du RELF et leurs membres formaient une entité juridique ou économique unique, de telle sorte que les activités du GIE auraient pu être attribuées à leurs membres. Bien au contraire, la Commission indique l’inverse, notamment au considérant 28 de la décision attaquée, lorsque qu’elle affirme que, « [é]tant donné que leurs membres considèrent que les GIE qui participent à des opérations au titre du RELF constituent un vecteur d’investissement plutôt qu’une structure permettant d’exercer conjointement une activité, la[dite] décision les qualifie d’investisseurs ».

207    Dans ces conditions, le second pilier du raisonnement de la Commission ne satisfait pas non plus aux exigences de motivation imposées par l’article 296 TFUE et par l’article 41 de la charte des droits fondamentaux.

208    À la lumière de ce qui précède (voir points 198 à 207 ci-dessus), il y a lieu de conclure que la Commission a violé son obligation de motivation lorsqu’elle a conclu, aux considérants 171 à 173 de la décision attaquée, que les mesures en cause risquaient de fausser la concurrence et affectaient les échanges entre États membres.

2.     Conclusion

209    Dès lors que la décision attaquée est entachée de plusieurs erreurs et qu’elle est insuffisamment motivée concernant la qualification d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, il y a lieu de faire droit au premier chef de conclusions du Royaume d’Espagne, de Lico et de PYMAR dans les affaires T‑515/13 et T‑719/13 et de l’annuler dans son entièreté, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens et arguments avancés dans le cadre des deux recours.

 Sur les dépens

210    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé dans les affaires T‑515/13 et T‑719/13, il y a lieu de la condamner aux dépens exposés par le Royaume d’Espagne, Lico et PYMAR, conformément aux conclusions de ceux-ci.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision 2014/200/UE de la Commission, du 17 juillet 2013, concernant l’aide d’État SA.21233 C/11 (ex NN/11, ex CP 137/06) mise à exécution par l’Espagne – Régime fiscal applicable à certains accords de location-financement, également appelé « régime espagnol de leasing fiscal », est annulée.

2)      La Commission européenne supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Royaume d’Espagne, Lico Leasing, SA et Pequeños y Medianos Astilleros Sociedad de Reconversión, SA.

Van der Woude

Wiszniewska-Białecka

Ulloa Rubio

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 décembre 2015.

(fonte curia.europa.eu)