Cour Européenne des Droits de l’Homme, arrêt du 27 septembre 2018, requête n. 57278/11, affaire Brazzi c. Italie (testo)
COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME
PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE BRAZZI c. ITALIE
(Requête no 57278/11)
ARRÊT
STRASBOURG
27 septembre 2018
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Brazzi c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Linos-Alexandre Sicilianos, président,
Kristina Pardalos,
Guido Raimondi,
Aleš Pejchal,
Ksenija Turković,
Armen Harutyunyan,
Pauliine Koskelo, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 septembre 2018,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 57278/11) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de nationalités italienne et allemande, M. Marco Brazzi (« le requérant »), a saisi la Cour le 5 septembre 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me P. Ruggerini, avocat à Mantoue. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Spatafora, et par son coagent, Mme M. G. Civinini.
3. Le requérant se plaignait en particulier d’une atteinte injustifiée à son droit au respect du domicile.
4. Le 26 avril 2017, la requête a été communiquée au Gouvernement.
5. Le gouvernement allemand n’a pas usé de son droit d’intervenir dans la procédure (article 36 § 1 de la Convention).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
6. Le requérant est né en 1965, en Italie, et il réside à Munich depuis 1989. Inscrit sur le registre des Italiens résidant à l’étranger, il possède depuis 2009 une maison en Italie, où sa femme et ses enfants habitent pendant la période scolaire.
7. En 2010, le requérant fit l’objet d’un contrôle fiscal de la part de la police fiscale de Mantoue. Il était soupçonné d’avoir maintenu son domicile fiscal en Italie et de ne pas s’être acquitté du paiement de la TVA et de l’impôt sur le revenu depuis 2003.
8. Dans le cadre de cette procédure administrative, le 6 juillet 2010, le parquet de Mantoue autorisa la police fiscale à accéder au domicile italien du requérant dans le but de rechercher et de saisir les livres comptables, les documents ou toute autre preuve de violations de la législation fiscale.
9. Le 13 juillet 2010, les agents de la police fiscale se rendirent au domicile du requérant. Ce dernier étant absent, ils demandèrent à son frère, qui était de passage, de leur permettre d’accéder aux lieux, sans pour autant justifier leur demande.
10. À la suite de cette intervention, le même jour, ainsi que le lendemain, les représentants de la police fiscale et le requérant eurent un échange de courriels et d’appels téléphoniques. Dans le cadre de cet échange, le requérant indiqua se trouver en Allemagne et ne pas pouvoir se déplacer en Italie dans un court délai en raison d’empêchements professionnels et familiaux. Supposant qu’il faisait l’objet d’un contrôle fiscal, bien qu’aucune information ne lui eût été fournie à cet égard, le requérant se déclara disposé à collaborer avec les autorités italiennes et proposa de mettre à leur disposition tout justificatif de l’administration allemande concernant ses revenus. Quant à la police fiscale, elle informa le requérant que, s’il refusait de consentir aux recherches auprès de son habitation au profit des agents, une perquisition serait ordonnée par le parquet.
11. Par une décision du 13 juillet 2010, le parquet de Mantoue ouvrit une enquête pénale à l’encontre du requérant, et délivra un mandat de perquisition de l’habitation et des véhicules de l’intéressé en raison de l’existence de graves indices de culpabilité du délit d’évasion fiscale. Par ce mandat, le parquet ordonna la recherche et la saisie des documents comptables se trouvant sur les lieux ainsi que de tout autre document prouvant le délit d’évasion fiscale, y compris des fichiers électroniques.
12. La police judiciaire effectua la perquisition, en présence du père du requérant, le 6 août 2010, entre 11 h 50 et 15 heures. Le père du requérant se vit notifier le mandat de perquisition, et il décida de ne pas se prévaloir de l’assistance d’un avocat. À l’issue des recherches, aucun document ne fut saisi par les autorités.
13. Le 30 août 2010, le requérant déposa un mémoire en défense devant le parquet de Mantoue. Dans ce mémoire, il contestait la nécessité de la perquisition, clarifiait sa situation fiscale, en prouvant notamment qu’il résidait principalement en Allemagne et qu’il y payait régulièrement ses impôts, et demandait le classement sans suite de l’enquête.
14. Le 15 septembre 2010, le parquet demanda au juge des investigations préliminaires de Mantoue de classer l’enquête sans suite, eu égard aux arguments présentés par le requérant dans son mémoire en défense. Le juge des investigations préliminaires de Mantoue classa l’affaire par une décision du 7 octobre 2010.
15. Entre-temps, le 14 août 2010, le requérant avait introduit un recours en cassation, se plaignant d’une illégalité de l’ordre de perquisition du 13 juillet 2010. Il soutenait que la perquisition de son habitation avait constitué une atteinte injustifiée au droit au respect de son domicile et de sa vie privée, puisque, selon lui, la vérification de sa situation fiscale aurait pu être effectuée par d’autres moyens.
16. Le 8 mars 2011, la Cour de cassation déclara le recours du requérant irrecevable. Elle indiqua qu’aucun appel n’était prévu contre un mandat de perquisition, précisant que celui-ci ne pouvait faire l’objet d’un réexamen au sens de l’article 257 du code de procédure pénale que lorsqu’il était suivi d’une saisie de biens. Selon la haute juridiction, en cas de violation des règles sur la conduite de la perquisition, seules des sanctions disciplinaires à l’encontre des agents de police ayant mené les opérations étaient envisageables. Par ailleurs, toujours selon la Cour de cassation, un recours direct devant elle en vertu de l’article 111 de la Constitution n’était pas non plus admissible dès lors qu’une perquisition domiciliaire n’avait pas d’impact sur la liberté personnelle.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Les dispositions du code de procédure pénale
17. Selon l’article 247 du code de procédure pénale, lorsqu’il existe des raisons suffisantes de soupçonner que le corps du délit ou des éléments pertinents du délit se trouvent en un endroit donné, l’autorité judiciaire ordonne la perquisition par une décision (decreto) motivée. Pendant la phase des investigations préliminaires, la décision appartient au parquet (article 352, alinéa 4).
18. Les règles et garanties relatives à la perquisition du domicile sont exposées aux articles 250 et 251 du code de procédure pénale. Le mandat de perquisition doit être remis au prévenu ou à la personne qui occupe les lieux, lesquels peuvent se faire assister par un avocat. À défaut, il est notifié au conjoint ou au concierge. Une perquisition domiciliaire ne peut être entreprise ni avant 7 heures ni après 20 heures, sauf en cas d’urgence.
19. Selon l’article 257 du même code, le prévenu, le propriétaire des biens saisis ou la personne qui aurait droit à la restitution peuvent demander le réexamen de la décision de saisie. La demande est examinée dans un délai de dix jours par le tribunal départemental auquel est rattachée l’autorité judiciaire qui a pris ladite décision.
B. La loi no 117 du 13 avril 1988
20. Aux termes de l’article 1, paragraphe 1, de la loi no 117 du 13 avril 1988 relative à la réparation des dommages causés dans l’exercice des fonctions juridictionnelles (« la loi no 117 »), celle-ci s’applique « à tous les membres des magistratures de droit commun, administrative, financière, militaire et spéciale, qui exercent une activité juridictionnelle, indépendamment de la nature des fonctions, ainsi qu’aux autres personnes qui participent à l’exercice de la fonction juridictionnelle ».
L’article 2 de la loi no 117, dans sa version en vigueur à l’époque des faits, se lisait comme suit :
«1. Toute personne ayant subi un préjudice injustifié en raison d’un comportement, d’un acte ou d’une mesure judiciaire prise par un magistrat s’étant rendu coupable de dol ou de faute grave dans l’exercice de ses fonctions, ou en raison d’un déni de justice, peut agir contre l’État pour obtenir la réparation des dommages patrimoniaux qu’elle a subis ainsi que des dommages non patrimoniaux qui découlent de la privation de liberté personnelle.
2. Dans l’exercice des fonctions juridictionnelles, l’interprétation des règles de droit et l’appréciation des faits et des preuves ne peuvent pas donner lieu à responsabilité.
3. Sont constitutifs d’une faute grave :
a) une violation grave de la loi résultant d’une négligence inexcusable ;
b) l’affirmation, due à une négligence inexcusable, d’un fait dont l’existence est incontestablement réfutée par les pièces du dossier ;
c) le déni, dû à une négligence inexcusable, d’un fait dont l’existence est incontestablement établie par les pièces du dossier ;
d) l’adoption, en dehors des cas prévus par la loi ou sans motivation, d’une mesure concernant la liberté personnelle. »
21. Les articles suivants de la loi précisaient les conditions et les modalités de l’engagement d’une action en réparation au titre des articles 2 ou 3 de cette loi, ainsi que les actions qui pouvaient être entreprises, a posteriori, à l’égard du magistrat qui s’était rendu coupable d’un dol ou d’une faute grave dans l’exercice de ses fonctions, voire d’un déni de justice. En particulier, aux termes de l’article 4 § 2 de la loi, l’action contre l’État devait être entamée, sous peine d’irrecevabilité, dans un délai de deux ans à partir, notamment, de la date à laquelle la décision litigieuse était devenue définitive.
22. La loi no 117 a été modifiée par la loi no 18 du 27 février 2015, qui est entrée en vigueur le 19 mars 2015. Cette réforme a entre autres porté de deux à trois ans le délai prévu à l’article 4 § 2 de la loi no 117.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
23. Le requérant allègue que la perquisition de son habitation a constitué une ingérence injustifiée dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et de son domicile, garanti par l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
A. Sur la recevabilité
24. Le Gouvernement soutient que le requérant n’a subi aucun préjudice important et considère que la requête est donc irrecevable au sens de l’article 35 § 3 b) de la Convention.
25. Le requérant n’a pas présenté d’observations à cet égard.
26. La Cour relève que l’élément principal du critère énoncé à l’article 35 § 3 b) de la Convention est l’existence ou non d’un préjudice important subi par le requérant (Adrian Mihai Ionescu c. Roumanie (déc.), no 36659/04, 1er juin 2010, et Korolev c. Russie (déc.), no 25551/05, CEDH 2010). Inspiré par le principe général de minimis non curat praetor, ce critère d’irrecevabilité repose sur l’idée que la violation d’un droit, même réelle d’un point de vue purement juridique, doit atteindre un minimum de gravité pour mériter d’être examinée par une juridiction internationale. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause.
27. En l’espèce, la Cour observe, avec le Gouvernement, que l’affaire n’a pas un enjeu financier en soi, puisqu’elle concerne une perquisition domiciliaire n’ayant donné lieu ni à une saisie de biens ni à une autre atteinte au patrimoine. Toutefois, la gravité d’une violation doit être appréciée compte tenu à la fois de la perception subjective du requérant et de l’enjeu objectif d’une affaire donnée (Eon c. France, no 26118/10, §§ 31‑36, 14 mars 2013). Autrement dit, l’absence de préjudice important peut se fonder sur des éléments tels que les conséquences pécuniaires du litige en question ou l’importance que celui-ci revêt aux yeux du requérant (Adrian Mihai Ionescu, décision précitée).
28. La Cour relève en l’occurrence que le litige portait sur un point de principe aux yeux du requérant, à savoir le droit de ce dernier au respect de ses biens et de son domicile (voir, mutatis mutandis, Giuran c. Roumanie, no 24360/04, § 22, CEDH 2011 (extraits). L’importance subjective de la question paraît évidente pour le requérant, lequel n’a pas cessé de contester avec force la légalité de la perquisition devant les autorités compétentes (voir, a contrario, Shefer c. Russie (déc.), no 45175/04, 13 mars 2012). Quant à l’enjeu objectif de l’affaire, la Cour relève que celle-ci porte sur l’existence en droit italien d’un contrôle judiciaire efficace vis-à-vis d’une mesure de perquisition, soit une question de principe importante tant au plan national qu’au plan conventionnel.
29. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que la première condition de l’article 35 § 3 b) de la Convention, à savoir l’absence de préjudice important pour le requérant, n’est pas remplie et qu’il y a lieu de rejeter l’exception du Gouvernement.
30. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
31. Le requérant allègue avoir subi une ingérence injustifiée dans son droit au respect de son domicile. Il soutient que les autorités auraient pu très facilement vérifier sa situation fiscale en consultant l’administration allemande, et ce conformément aux dispositions de la convention bilatérale existant en matière fiscale entre l’Italie et l’Allemagne. Par ailleurs, il indique s’être rendu disposé à collaborer en personne avec les autorités italiennes et à fournir toutes les informations nécessaires afin d’élucider les faits. Il ajoute que, malgré cela, les autorités ont persisté dans l’intention qui aurait été la leur de violer son domicile. Il affirme par ailleurs que le mandat de perquisition et de saisie délivré à son encontre a été rédigé de manière vague et imprécise.
32. En outre, le requérant se plaint de ne pas avoir disposé d’un contrôle efficace de la mesure d’instruction prise à son encontre. À cet égard, il indique que la Cour de cassation a confirmé que la décision prise par le parquet ordonnant la perquisition n’était pas susceptible de faire l’objet d’un appel en droit italien.
33. Le Gouvernement ne conteste pas que la perquisition litigieuse a constitué une ingérence des autorités dans le droit à la vie privée et au domicile du requérant. Il estime néanmoins que la mesure litigieuse était prévue par la loi, à savoir les articles 247 et suivants du code de procédure pénale, et qu’elle poursuivait des « buts légitimes » au sens de l’article 8 § 2 de la Convention, à savoir la protection du bien-être économique du pays et la prévention des infractions pénales.
34. Quant à la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique, le Gouvernement conteste l’argument du requérant selon lequel la perquisition n’était pas justifiée et aurait pu être évitée en faisant application de la convention bilatérale existant entre l’Italie et l’Allemagne. Il soutient que le requérant résidait en même temps en Italie et en Allemagne et qu’il avait maintenu de nombreux centres d’intérêt en Italie. Par conséquent, aux yeux du Gouvernement, les autorités italiennes avaient toutes les raisons de soupçonner le requérant d’évasion fiscale et d’entamer une enquête pour élucider les faits. Par ailleurs, le Gouvernement considère que le fait que la perquisition n’a pas été concluante ne rend pas la mesure injustifiée ou disproportionnée.
35. Le Gouvernement soutient en outre que les autorités ont fait en sorte d’entourer la mesure litigieuse de toutes les garanties procédurales nécessaires. En effet, selon lui, le mandat de perquisition était adéquatement motivé, et les opérations se sont déroulées dans le respect des conditions matérielles et procédurales prévues par le droit interne.
36. Concernant le contrôle de la mesure litigieuse, le Gouvernement affirme tout d’abord que le requérant a eu accès au juge des investigations préliminaires et que celui-ci a réexaminé l’ensemble de la procédure avant de décider de classer l’affaire sans suite. Il estime par ailleurs que le requérant aurait pu saisir le juge civil d’une action en dédommagement contre l’État, en vertu de la loi no 117, et qu’un tel recours lui aurait permis d’obtenir une compensation même en l’absence d’une annulation préalable du mandat de perquisition. À ce sujet, il précise qu’une annulation du mandat de perquisition n’aurait aucun intérêt pour le requérant, eu égard au fait que la mesure en cause a déjà été exécutée et qu’elle n’a pas été suivie d’une saisie de biens.
37. Enfin, le Gouvernement indique que le cadre législatif national dans son ensemble fournit des garanties suffisantes contre les abus et l’arbitraire.
2. Appréciation de la Cour
38. La Cour estime qu’il ne fait aucun doute que la perquisition litigieuse constitue une « ingérence des autorités publiques » dans le droit à la vie privée de l’intéressé. Le Gouvernement ne le conteste d’ailleurs pas. Pareille immixtion enfreint la Convention si elle ne remplit pas les exigences du paragraphe 2 de l’article 8. Il y a donc lieu de déterminer si elle était « prévue par la loi », inspirée par un ou plusieurs des buts légitimes au regard dudit paragraphe et « nécessaire, dans une société démocratique ».
39. La Cour rappelle qu’en vertu de sa jurisprudence constante les mots « prévue par la loi » impliquent qu’une ingérence dans les droits garantis par l’article 8 doit reposer sur une base légale interne, que la législation en question doit être suffisamment accessible et prévisible et que celle-ci doit être compatible avec le principe de la prééminence du droit (voir parmi beaucoup d’autres Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, § 52, CEDH 2000‑V, Liberty et autres c. Royaume-Uni, no 58243/00, § 59, 1er juillet 2008, et Heino c. Finlande, no 56720/09, § 36, 15 février 2011).
40. En l’espèce, la Cour relève que la perquisition litigieuse reposait sur les articles 247 et suivants du code de procédure pénale (paragraphes 17-19 ci-dessus). Lesdites dispositions législatives ne présentent aucun problème à ses yeux, s’agissant tant de leur accessibilité que de leur prévisibilité, au sens de sa jurisprudence précitée.
41. Concernant la dernière condition qualitative à laquelle doit répondre la législation interne, à savoir la compatibilité avec le principe de la prééminence du droit, la Cour rappelle que dans le contexte des perquisitions elle exige que le droit interne offre des garanties adéquates et suffisantes contre les abus et l’arbitraire (Heino, précité, § 40, et Gutsanovi c. Bulgarie, no 34529/10, § 220, CEDH 2013 (extraits)). La Cour rappelle également que parmi ces garanties figure l’existence d’un « contrôle efficace » des mesures attentatoires à l’article 8 de la Convention (Lambert c. France, 24 août 1998, § 34, Recueil des arrêts et décisions 1998‑V), tout en observant que le fait qu’une demande de mandat a fait l’objet d’un contrôle juridictionnel ne sera pas forcément considéré comme constituant en soi une garantie suffisante contre les abus. La Cour doit examiner les circonstances particulières de l’espèce et évaluer si le cadre juridique et les limites appliquées aux compétences exercées constituaient une protection adéquate contre le risque d’ingérences arbitraires des autorités (K.S. et M.S. c. Allemagne, no 33696/11, § 45, 6 octobre 2016). Ainsi, nonobstant la marge d’appréciation qu’elle reconnaît en la matière aux États contractants, la Cour doit redoubler de vigilance lorsque le droit national habilite les autorités à conduire une perquisition sans mandat judiciaire préalable : la protection des individus contre des atteintes arbitraires de la puissance publique aux droits garantis par l’article 8 réclame un encadrement légal et une limitation des plus stricts de tels pouvoirs (Camenzind c. Suisse, 16 décembre 1997, § 45, Recueil 1997‑VIII).
42. En l’espèce, la Cour relève d’abord que la perquisition en question a été ordonnée par le parquet le jour même de l’ouverture d’une enquête pénale à l’encontre du requérant, celle-ci ayant été décidée à la suite d’une tentative des autorités d’enquête d’effectuer des recherches, toujours le même jour, dans le cadre d’une vérification fiscale administrative. Elle constate donc que la perquisition est intervenue à un stade particulièrement précoce de la procédure pénale. Or la Cour a déjà considéré qu’une perquisition effectuée à un tel stade doit s’entourer des garanties adéquates et suffisantes afin d’éviter qu’elle ne serve à fournir aux autorités d’enquête des éléments compromettants sur des personnes qui n’ont pas encore été identifiées comme étant soupçonnées d’avoir commis une infraction (Modestou c. Grèce, no 51693/13, § 44, 16 mars 2017).
43. Dès lors, lorsque la législation nationale ne prévoit pas de contrôle judiciaire ex ante factum sur la légalité et la nécessité de cette mesure d’instruction, il devrait exister d’autres garanties, notamment sur le plan de l’exécution du mandat, de nature à contrebalancer les imperfections liées à l’émission et, le cas échéant, au contenu du mandat de perquisition (idem, § 48). En l’espèce, la Cour note que la législation interne italienne ne prévoit pas un tel contrôle ex ante dans le cadre des perquisitions ordonnées pendant les investigations préliminaires. En effet, il n’est pas prévu que le représentant du parquet, en sa qualité de magistrat en charge de l’enquête, sollicite l’autorisation d’un juge ou l’informe de sa décision d’ordonner une perquisition.
44. Cela étant, la Cour a déjà eu l’occasion d’affirmer que l’absence d’un contrôle judiciaire ex ante peut être contrecarrée par la réalisation d’un contrôle judiciaire ex post facto sur la légalité et la nécessité de la mesure (voir, mutatis mutandis, Heino, précité, § 45, et Gutsanovi, précité, § 222). Encore faut-il que ce contrôle soit efficace dans les circonstances particulières de l’affaire en cause (Smirnov c. Russie, no 71362/01, § 45, 7 juin 2007). En pratique, cela implique que les personnes concernées puissent obtenir un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la mesure litigieuse et de son déroulement ; lorsqu’une opération jugée irrégulière a déjà eu lieu, le ou les recours disponibles doivent permettre de fournir à l’intéressé un redressement approprié (DELTA PEKÁRNY a.s. c. République tchèque, no 97/11, § 87, 2 octobre 2014).
45. À ce dernier égard, la Cour rappelle avoir admis que, dans certaines circonstances, le contrôle de la mesure attentatoire à l’article 8 effectué par les juridictions pénales fournit un redressement approprié pour l’intéressé, dès lors que le juge procède à un contrôle efficace de la légalité et de la nécessité de la mesure contestée et, le cas échéant, exclut du procès pénal les éléments de preuve recueillis (Panarisi c. Italie, no 46794/99, §§ 76 et 77, 10 avril 2007, Uzun c. Allemagne, no 35623/05, §§ 71 et 72, CEDH 2010 (extraits), et Trabajo Rueda c. Espagne, no 32600/12, § 37, 30 mai 2017).
46. Or tel n’est pas le cas en l’espèce, la perquisition n’ayant pas permis de recueillir des preuves à charge et la procédure ayant été classée sans suite par le juge des investigations préliminaires. En outre, la Cour observe que, contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement, le juge des investigations préliminaires n’a nullement examiné ni la légalité ni la nécessité du mandat de perquisition, ce magistrat s’étant borné à faire droit à la demande du parquet de clôturer l’affaire sur le fond.
47. Par ailleurs, la Cour relève que le requérant n’a pas non plus pu obtenir le réexamen de la mesure en cause puisque le remède spécifique prévu à l’article 257 du code de procédure pénale est envisageable seulement dans le cas où la perquisition a été suivie d’une saisie de biens.
48. Il s’ensuit qu’aucun juge n’a examiné la légalité et la nécessité du mandat de perquisition du domicile du requérant émis par le parquet. Dès lors, en l’absence d’un tel examen et, le cas échéant, d’un constat d’irrégularité, l’intéressé n’a pas pu prétendre à un redressement approprié du préjudice subi allégué.
49. Concernant l’argument du Gouvernement selon lequel le requérant aurait pu introduire un recours en dédommagement pour responsabilité de l’État en vertu de la loi no 117, la Cour observe que cette action présuppose l’existence d’un comportement à tout le moins coupable de la part des magistrats et que, par conséquent, le requérant aurait dû prouver le dol ou la faute lourde des autorités ayant statué dans son affaire (voir l’article 2 § 3 d) de la loi no 117, paragraphe 20 ci-dessus). De plus, la Cour note que le Gouvernement n’a produit aucun exemple démontrant qu’une telle action a été intentée avec succès dans des circonstances similaires à celles de l’affaire du requérant (voir, mutatis mutandis, Richmond Yaw et autres c. Italie, nos 3342/11 et 3 autres, § 44, 6 octobre 2016).
50. Aussi la Cour considère-t-elle que, en l’absence d’un contrôle judiciaire préalable ou d’un contrôle effectif a posteriori de la mesure d’instruction contestée, les garanties procédurales apportées par la législation italienne n’étaient pas suffisantes pour prévenir le risque d’abus de pouvoir de la part des autorités chargées de l’enquête pénale.
51. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que, même si la mesure contestée avait une base légale en droit interne, la législation nationale n’a pas offert au requérant suffisamment de garanties contre l’abus ou l’arbitraire avant ou après la perquisition. De ce fait, l’intéressé n’a pas bénéficié d’un « contrôle efficace » tel que voulu par la prééminence du droit dans une société démocratique. Dans ces circonstances, la Cour considère que l’ingérence dans le droit au respect du domicile du requérant n’était pas « prévue par la loi » au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.
52. Il y a donc eu violation de l’article 8 de la Convention.
II. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 6 ET 13 DE LA CONVENTION
53. Invoquant les articles 6 et 13 de la Convention, le requérant se plaint de ne pas avoir disposé d’un recours effectif pour faire valoir ses griefs tirés de l’article 8.
54. La Cour estime que ces griefs se prêtent à être examinés sous l’angle du seul article 13 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (…) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
A. Sur la recevabilité
55. La Cour relève que ce grief est lié à celui examiné ci-dessus et doit donc aussi être déclaré recevable.
B. Sur le fond
56. Le requérant soutient qu’il ne disposait d’aucun recours effectif lui permettant de contester la perquisition de son habitation.
57. Eu égard au constat relatif à l’article 8 de la Convention auquel elle est parvenue, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément s’il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 13 de la Convention (voir, entre autres, Heino, précité, § 55, et DELTA PEKÁRNY a.s., précité, § 104).
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
58. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
59. Le requérant n’a présenté aucune demande de satisfaction équitable dans le délai imparti à cet effet. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;
3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 13 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 septembre 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Abel CamposLinos-Alexandre Sicilianos
GreffierPrésident